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qu’il est possédé d’un besoin métaphysique extrêmement fort ; il conçoit donc avant tout la vie dans sa signification métaphysique, et veut tout déduire de celle-ci. Voilà pourquoi, si étrange que cela paraisse, étant donnée l’incertitude de tous les dogmes, l’accord dans les vues métaphysiques fondamentales est pour lui le principal de sorte qu’il n’y a de véritable et de durable union possible qu’entre ceux qui professent ces mêmes vues. Par suite, les peuples se ressemblent et diffèrent bien plus par la religion que par leur gouvernement ou même par leur langue. Conséquemment, l’édifice social, l’État, n’est complètement affermi que quand il a pour base un système de métaphysique universellement admis. Un tel système, naturellement, ne peut être qu’une métaphysique populaire, c’est-à-dire une religion. Il devient partie intégrante de la constitution politique et de toutes les manifestations de la vie nationale, comme de tous les actes solennels de la vie privée. C’était le cas dans l’Inde ancienne, chez les Perses, les Égyptiens, les Juifs, les Grecs et les Romains ; et c’est encore le cas parmi les nations brahmaniques, bouddhistes et mahométanes. En Chine, il est vrai, il y a trois doctrines de foi, dont la plus répandue, le bouddhisme, est la moins protégée par l’État ; mais, d’après un mot d’usage courant dans le pays, « les trois doctrines n’en font qu’une », c’est-à-dire qu’elles s’accordent sur le point essentiel. L’empereur les professe toutes trois à la fois. L’Europe enfin est la confédération chrétienne ; le christianisme est la base de chacun de ses membres et le lien commun de tous ; aussi la Turquie, quoique située en Europe, n’en fait-elle pas proprement partie. De même, les princes de l’Europe sont tels « par la grâce de Dieu »,