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culquer la vertu. Le drapeau auquel j’ai prêté serment est la vérité. Je lui resterai fidèle en tout, et sans me préoccuper du succès, je combattrai pour la lumière et le vrai. Si je vois les religions dans les rangs ennemis, je —

Démophèle. — Mais tu ne les y verras pas ! La religion n’est pas une tromperie. Elle est vraie, et la plus importante de toutes les vérités. Mais comme ses doctrines, je l’ai déjà dit, sont d’un genre si élevé que la grande masse ne pourrait les saisir directement ; comme leur lumière aveuglerait l’œil ordinaire, elle s’avance sous le voile de l’allégorie et enseigne ce qui est vrai non précisément en soi-même, mais en vertu du sens élevé qui y est contenu ; et, ainsi comprise, elle est la vérité.

Philalèthe. — On pourrait admettre cela, si elle se donnait simplement comme allégoriquement vraie. Mais elle affiche la prétention d’être directement vraie, et vraie au plein sens propre du mot. En cela consiste la tromperie, et c’est ici que l’ami de la vérité doit prendre vis-à-vis d’elle une position hostile.

Démophèle. — Mais cette tromperie est une condition sine quâ non. Si la religion consentait à avouer que le sens allégorique de ses doctrines est le seul vrai, cet aveu lui enlèverait toute efficacité ; ce rigorisme mettrait fin à son inappréciable influence bienfaisante sur le moral et le cœur de l’homme. Ainsi donc, au lieu d’insister sur ce point avec une obstination pédantesque, considère ses grands services sur le terrain pratique, dans le domaine de la morale et du sentiment comme guide de conduite, comme soutien et consolation de l’humanité souffrante dans la vie et dans la mort. Tu