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une forme simple et saisissable, débusquerait la religion de la place qu’elle a si longtemps occupée comme sa représentante, mais que précisément pour cette raison elle lui avait gardée. Alors la religion aura accompli sa mission et parcouru sa carrière ; elle pourra prendre congé de l’espèce qu’elle a accompagnée jusqu’à sa majorité, et partir elle-même en paix : ce sera son euthanasie. Mais aussi longtemps qu’elle vit, elle a deux faces : l’une de vérité, et l’autre de mensonge. Selon que l’on regardera celle-là ou celle-ci, on aimera la religion ou on lui sera hostile. Il faut donc l’envisager comme un mal nécessaire résultant de la pitoyable faiblesse intellectuelle de la grande majorité des hommes, qui est incapable de saisir la vérité et qui a conséquemment besoin, dans un cas urgent, d’un succédané.

Démophèle. — Réellement, on croirait que vous autres, philosophes, vous tenez déjà la vérité toute nue dans votre main.

Philalèthe. — Si nous ne la tenons pas, il faut surtout en accuser la compression sous laquelle la religion a, en tous temps et en tous lieux, maintenu la philosophie. Ce n’est pas seulement l’émission et la communication de la vérité, c’est aussi sa contemplation et sa découverte qu’on a cherché à rendre impossibles, en livrant les cerveaux des petits enfants à la manipulation des prêtres ; et ceux-ci ont si fortement imprimé la direction dans laquelle les idées fondamentales doivent désormais se mouvoir, que ces idées, dans les matières essentielles, se sont trouvées fixées et déterminées pour toute la durée de l’existence. Je suis parfois effrayé quand, surtout au sortir de mes études orien-