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de la vérité, qui est la plus noble activité des hommes les plus nobles, que cette métaphysique conventionnelle monopolisée par l’État, dont les principes sont inculqués si sérieusement, si profondément, si solidement à chaque cerveau naissant, qu’à moins d’une élasticité miraculeuse de celui-ci, ils y restent indélébiles ? Le résultat, c’est que le concept de la saine raison est une fois pour toutes dérangé, c’est-à-dire que la faculté de penser par soi-même et de juger sans parti pris, déjà faible naturellement, est, à l’égard de tout ce qui s’y rapporte, à jamais paralysée et détruite.

Démophèle. — Cela signifie que les gens sont arrivés à une conviction qu’ils ne veulent pas abandonner en faveur de la tienne.

Philalèthe. — Oh ! si c’était au moins une conviction fondée sur le raisonnement ! On pourrait lui opposer des raisons et la combattre à armes égales. Mais, de leur propre aveu, les religions ne s’adressent pas à la conviction fondée sur des raisons ; elles s’adressent à la foi étayée sur des révélations. Or, c’est dans l’enfance que l’aptitude à la foi est la plus forte ; voilà pourquoi on vise avant tout à s’emparer de cet âge tendre. C’est par là, bien plus encore que par les menaces et les récits de miracles, que les doctrines de foi s’enracinent. Si, dans la première jeunesse, on expose fréquemment à l’homme, avec une solennité inaccoutumée et un air sérieux, tout nouveau pour lui, certaines vues et doctrines fondamentales ; si on exclut en même temps la possibilité d’un seul doute à leur sujet, pour indiquer que ce doute est le premier pas vers la perdition éternelle, l’impression sera si profonde que, en règle générale, c’est-à-dire dans la majorité des cas,