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cherchons à nous dissimuler le sérieux amer de la vie. Il donne de la consistance à celle-ci, en la présentant à notre âme comme une tâche, il détruit les illusions et les vains mirages, il éveille en nous l’aspiration vers ce qui est saint, et nous fait pressentir le haut secret que, derrière le monde des phénomènes, nous devons révérer. Il provoque en nous le besoin métaphysique et ne nous permet pas de tomber dans un sec empirisme, soit dans l’art, soit dans la philosophie, soit dans la vie. Il devient ainsi pour nous, comme il le dit lui-même, un indicateur qui nous montre la porte menant hors de ce monde. Pour beaucoup il a été plus encore, pour beaucoup il peut être encore plus. C’est affaire de foi. Il s’impose ainsi à nous tous comme une obligation. Que nous tenions sa doctrine pour l’évangile du salut ou que nous n’y voyions qu’une manière de penser de la même valeur que beaucoup d’autres, nul homme désireux de connaître les forces agissantes dans l’histoire de notre culture et de notre esprit, n’a le droit de la négliger. Ce n’est qu’ensuite qu’il choisira son point de vue, non d’après les hasards de la naissance et de l’éducation, mais en vertu d’un examen sérieux des idées sur le monde désormais entrées dans l’histoire. »

Après ces considérations et celles de notre premier volume sur le philosophe et son œuvre, peut-être n’est-il pas inopportun de tracer maintenant, en vue des lecteurs moins renseignés, un rapide croquis de visu de l’homme lui-même. Nous l’emprunterons à Foucher de Careil, qui avait visité une première fois Schopenhauer trois années avant sa mort, et qui nous a laissé de lui, dans un livre à peu près introuvable aujourd’hui, l’intéressante description dont voici les principaux traits :

« Ce fut sur les bords du Mein, dans cette partie de l’Allemagne méditerranéenne qui, suivant une ingénieuse remarque de Humboldt, est au climat de Berlin ce que Milan est à Francfort, qu’il se fixa pour n’en plus sortir. Il occupait, quand je le vis, le rez-de-chaussée d’une belle maison sur le quai de « Schöne Aussicht » ; sa chambre était aussi sa biblio-