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comme tant d’autres, un abstracteur de quintessence perdu dans les brouillards de la métaphysique, c’est un philosophe dont les doctrines ont leurs racines dans le sol de la réalité visible, qui a vécu de la vie du monde, et qui écrit en galant homme, même là où il ne peut dissimuler le métier. « Dans beaucoup de passages, dit M. Th. Ribot, il doit être lu comme les grands écrivains, pour les idées qu’il suggère, non pour les vérités positives qu’il révèle. Beaucoup de gens peu soucieux de philosophie se plaisent à cette lecture, qui est pour eux une matière à penser. Il en reste une impression analogue à celle que laissent Vauvenargues ou Chamfort, souvent même Heine ou Byron… C’est, à la façon des moralistes, une profusion de pensées, de traits piquants, ingénieux, souvent poétiques, jetés sur une trame métaphysique qui leur sert de lien[1]. » Quelle haute idée Schopenhauer se faisait de la philosophie, le passage suivant le révèle : « La philosophie est un chemin alpestre montueux ; on n’y accède que par un sentier abrupt semé de cailloux pointus et bordé d’épines piquantes. Il est solitaire et devient toujours plus désolé, à mesure qu’on monte ; celui qui le gravit ne doit pas avoir peur, mais doit tout abandonner derrière lui et se frayer lui-même résolument sa route dans la neige froide. Souvent il arrive soudain devant un abîme, et voit en bas la vallée verte. Il s’y sent violemment attiré par le vertige ; mais il faut qu’il se retienne, dût-il coller avec son propre sang la plante de ses pieds aux rochers. En récompense, il voit bientôt disparaître au-dessous de lui le monde, avec ses déserts sablonneux et ses marais ; les inégalités de celui-ci s’aplanissent, ses dissonances ne se font pas sentir jusque-là, sa rondeur harmonique se manifeste. Lui-même se trouve en plein air pur et frais des Alpes, et cherche déjà le soleil quand, en bas, la nuit est encore profonde. »

Les deux citations suivantes, empruntées à des ouvrages récents sur Schopenhauer, donneront au lecteur français une idée de la façon dont les Allemands jugent actuellement leur philosophe de la « volonté ».

  1. La philosophie de Schopenhauer, pp. 169-170. Paris, F. Alcan.