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à nos amis défunts, en considérant qu’ils en ont fini avec elle, et en souhaitant de tout cœur qu’elle leur ait profité. Et du même point de vue nous devons envisager notre propre mort comme un événement désirable et heureux, et non en tremblant d’effroi, ainsi que c’est d’ordinaire le cas.

Une vie heureuse est impossible ; le plus haut point que l’homme puisse atteindre, c’est une carrière héroïque. Elle est le partage de celui qui, en n’importe quel ordre de choses, lutte avec les plus grandes difficultés pour le bien de tous et finit par triompher, mal ou nullement récompensé de ses efforts. Ensuite, quand tout est terminé, il reste là debout, pétrifié, comme le prince dans le Roi Corbeau de Gozzi[1], mais dans une noble attitude et avec un air magnanime[2]. Sa mémoire demeure, et elle est célébrée comme celle d’un héros ; sa volonté, mortifiée durant toute une vie par la peine et le travail, par l’insuccès et l’ingratitude du monde, s’éteint dans le nirvana. (Carlyle a écrit dans ce sens son Culte des héros[3].)

Si nous pouvons maintenant, par des considérations

  1. Une des pièces les plus spirituelles et les plus amusantes du théâtre fiabesque de Carlo Gozzi, représentée pour la première fois en 1761. (Le trad.)
  2. « On meurt les armes à la main ». Note de l’auteur, en français.
  3. On Heroes, Hero-Worship and the Heroic in History, séries de lectures publiques faites entre 1837 et 1840, et réunies en volume l’année suivante. Carlyle y étudie successivement le héros comme divinitė (Odin), comme prophète (Mahomet), comme poète (Dante et Shakespeare), comme prêtre (Luther et Knox), comme homme de lettres (Samuel Johnson, Rousseau et Burns), et enfin comme roi (Cromwell et Napoléon). (Le trad.)