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Chaque vie humaine, envisagée dans son ensemble, nous montre, comme je l’ai dit, les caractères d’une tragédie, et nous voyons que la vie n’est autre chose, en règle générale, qu’une série d’espérances avortées, de projets déçus et d’erreurs reconnues trop tard, qui justifient pleinement ces vers mélancoliques :

Till grief and old age, hand in hand,
Lead him to death and make him understand,
After a course so painful and so long,
That all his life he has been in the wrong[1].

Cela s’accorde pleinement avec mes vues sur le monde, d’après lesquelles l’existence n’est guère autre chose qu’une sorte d’aberration dont la connaissance de celui-ci doit nous guérir. L’homme, ἄνθρωπος, est « déjà dans l’erreur », en général, du moment seul où il existe et est homme. Il va donc de soi que chaque homme individuel aussi, τις ἄνθρωπος, examinant sa vie, se trouve communément « dans l’erreur ». Qu’il constate celle-ci en général, c’est sa rédemption, et pour cela il doit commencer par la reconnaître dans le cas particulier, c’est-à-dire dans son existence individuelle. Car quidquid valet de genere, valet et de specie[2].

Il faut envisager la vie comme une sévère leçon qui nous est infligée, bien que, avec nos formes de pensée dirigées vers de tout autres buts, nous ne puissions comprendre comment nous avons pu avoir besoin de cette leçon. Nous devons donc songer avec satisfaction

  1. … « Jusqu’à ce que le chagrin et la vieillesse, la main dans la main,
    Le mènent vers la mort et lui fassent comprendre,
    Après une course si pénible et si longue,
    Que toute sa vie il a été dans l’erreur. »

  2. « Ce qui s’applique au genre, s’applique aussi à l’espèce. »