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grand chagrin. Le flegme et la lourdeur des Allemands sont spécialement favorables à ce genre de stoïcisme.

Des actions injustes ou méchantes sont, par rapport à celui qui les accomplit, des signes de la force de son affirmation de la volonté de vivre, conséquemment de la distance qui le sépare du vrai salut, qui consiste dans la négation de cette volonté, et, partant, dans l’affranchissement du monde, aussi bien que de la longue école de la connaissance et de la souffrance par laquelle il doit encore passer pour en arriver là. Mais par rapport à celui qui souffre de ces actions, si elles sont physiquement un mal, elles sont métaphysiquement un bien, et au fond un bienfait, vu qu’elles contribuent à le conduire à son vrai salut.

L’esprit du monde. — Ici donc est la mesure de tes travaux et de tes souffrances : c’est pour cela que tu dois exister, comme toutes les autres choses existent.

L’homme. — Mais qu’ai-je de l’existence ? Si je suis occupé, j’ai de la peine ; si je suis inoccupé, j’ai de l’ennui. Comment peux-tu m’offrir, pour tant de travail et tant de souffrances, une récompense si misérable ?

L’esprit du monde. — Et cependant elle est l’équivalent de toutes tes fatigues et de toutes tes souffrances ; et cela en raison même de sa pénurie.

L’homme. — Vraiment ? Cela dépasse réellement mon pouvoir de compréhension.

L’esprit du monde. — Je le sais. (À part) : Dois-je lui dire que la valeur de la vie consiste précisément à lui apprendre à ne pas vouloir d’elle ? C’est à cette suprême initiation que la vie elle-même doit le préparer d’abord.