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cède du monde empirique donné comme phénomène, du monde comme représentation ! Ici, en effet, cet acte se présente comme tout à fait individuel et spécial, d’importance subordonnée, on peut même dire comme une chose accessoire, couverte et cachée, qui s’insinue en tapinois ; il constitue alors une anomalie paradoxale qui prête fréquemment à rire. Il pourrait cependant nous sembler aussi que le diable a par là seulement voulu cacher son jeu : car l’amour est sa monnaie courante, et le monde son royaume. Qui n’a pas remarqué, en effet, qu’illico post coitum cachinnus auditur diaboli[1] ? Ceci, et nous parlons sérieusement, repose sur le fait que le désir sexuel — spécialement quand, se fixant sur une femme déterminée, il se concentre en amour — est la quintessence de toute la duperie de ce noble monde. Il promet en effet si indiciblement, si infiniment, si follement tant de choses, et il tient si misérablement sa promesse !

La part de la femme dans la génération est, en un certain sens, plus innocente que celle de l’homme. Celui-ci donne à l’être à engendrer la volonté, qui est le premier péché et par conséquent la source de tout mal et de tout malheur, tandis que celle-là lui donne la connaissance, qui ouvre la voie de l’affranchissement. L’acte de la génération est le nœud gordien, vu qu’il dit : « La volonté de vivre s’est affirmée de nouveau ». Dans ce sens, une phrase brahmanique consacrée pousse cette lamentation : « Malheur, malheur ! le lingam est dans l’yoni ». La conception et la grossesse au contraire affirment : « À la volonté est donnée une fois

  1. « Aussitôt après l’acte amoureux, on entend rire le diable. »