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non à une existence qu’il faut d’abord me démontrer être mienne.

Philalèthe. — Regarde donc autour de toi ! Ce qui crie : « Moi, moi, je veux exister », ce n’est pas seulement toi, mais tout, absolument tout ce qui le moindre vestige de conscience. Conséquemment, ce désir est en toi précisément ce qui n’est pas individuel, mais est commun à tous sans distinction. Il n’émane pas de l’individualité, mais de l’existence en général, est essentiel à chaque chose qui vit, est même ce par quoi cette chose vit ; il est en conséquence satisfait par l’existence en général, à laquelle seule il se réfère, et non exclusivement par une existence individuelle déterminée. Il n’est en effet nullement dirigé vers elle, quoiqu’il semble toujours en être ainsi, parce qu’il ne peut arriver à la conscience que dans un être individuel, et qu’il semble pour cette raison toujours s’appuyer uniquement sur celle-ci. C’est néanmoins une pure apparence à laquelle se prend l’inintelligence de l’individu, mais que la réflexion peut détruire en nous en délivrant. Ce qui réclame si impétueusement l’existence, c’est, indirectement, l’individu seul ; directement et réellement, c’est la volonté de vivre, qui est une et la même chez tous. Or, puisque l’existence même est son œuvre libre, voire même son pur reflet, celle-ci ne peut lui échapper ; mais la volonté est provisoirement satisfaite par l’existence en général, autant du moins qu’elle, l’éternelle mécontente, peut être satisfaite. Les individualités lui sont indifférentes ; à vrai dire, elle ne s’occupe pas d’elles, quoiqu’elle semble s’occuper de l’individu qui la perçoit d’une manière directe seulement en lui-même. Il s’ensuit de là qu’elle