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exprimer qu’il est la même source où tout retourne et d’où tout sort. De ce point de vue, il faudrait regarder notre vie comme un prêt fait par la mort ; le sommeil serait alors l’intérêt quotidien de celui-ci. La mort s’annonce ouvertement comme la fin de l’individu, mais en cet individu réside le germe d’un nouvel être. Donc, rien de ce qui meurt là ne meurt pour toujours ; mais rien de ce qui naît ne reçoit non plus une existence fondamentalement nouvelle. Ce qui meurt périt ; mais un germe subsiste, d’où sort une nouvelle vie qui entre maintenant dans l’existence, sans savoir d’où elle vient et pourquoi elle est justement ce qu’elle est. Ceci est le mystère de la palingénésie, dont on trouvera l’explication dans les additions au Monde comme volonté et comme représentation (chap. xli). Nous voyons par là que tous les êtres vivant en ce moment contiennent le germe de tous ceux qui vivront dans l’avenir, et qui ainsi existent déjà jusqu’à un certain point. De même, chaque animal qui se tient là dans sa pleine floraison semble nous crier : « Pourquoi te plains-tu de la caducité des vivants ? Comment serais-je là, si tous ceux de mon espèce qui m’ont précédé n’étaient pas morts ? » Aussi, à quelque point que les pièces et les masques puissent changer sur la scène du monde, les comédiens restent cependant en tout les mêmes. Nous sommes là assis ensemble, et nous parlons, et nous nous agitons, nos yeux brillent, nos voix s’élèvent. D’autres se sont assis là absolument de même, il y a des milliers d’années. C’était la même chose, et c’étaient les mêmes ; et il en sera absolument encore ainsi dans plus de mille ans. L’arrangement qui nous empêche de nous apercevoir de cela, c’est le temps.