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Les religions remplissent et gouvernent le monde, et la grande masse de l’humanité leur obéit. À côté d’elles s’achemine lentement la calme succession des philosophes, qui travaillent à résoudre l’énigme du grand mystère, au profit du petit nombre qui, par vocation, s’intéresse à ces recherches. En moyenne, chaque siècle produit un philosophe. Dès qu’on l’a reconnu vrai, on l’accueille avec joie et on l’écoute avec attention.

Pour la grande masse, les seuls arguments palpables sont les miracles. Aussi tous les fondateurs de religions en accomplissent-ils.

Les théologiens cherchent tantôt à allégoriser, tantôt à naturaliser les miracles de la Bible, pour s’en débarrasser d’une façon quelconque. Car ils sentent que miraculum sigillum mendacii[1].

Les documents religieux renferment des miracles, en vue de la confirmation de leur contenu. Mais il vient un moment où ils produisent l’effet contraire.

Quelle mauvaise conscience doit avoir la religion, c’est ce qu’on peut mesurer aux peines sévères par lesquelles elle interdit la raillerie à son adresse.

Parmi les nombreux maux et les nombreuses tristesses de la destinée humaine, les moindres ne sont pas que nous soyons là sans savoir d’où nous venons, où nous allons, et pourquoi nous existons. Celui qui est pénétré du sentiment de ce mal, ne pourra guère se défendre d’une amertume contre ceux qui prétendent avoir sur ce sujet des données spéciales, qu’ils veulent nous communiquer sous le nom de révélation.

  1. « Le miracle est le sceau du mensonge. »