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supranaturalistes apportent est au fond une mythologie, mais celle-ci est le véhicule de vérités importantes et profondes qu’il serait impossible de faire comprendre à la masse par d’autres moyens. Combien, au contraire, ces rationalistes sont loin de comprendre et même de soupçonner le sens et l’esprit du christianisme, c’est ce que montre, par exemple, leur grand apôtre Wegscheider dans sa naïve Dogmatique (§ 15), où il n’a pas honte d’opposer aux affirmations profondes d’Augustin et des réformateurs sur le péché originel et la corruption constitutive de l’homme, le fade bavardage de Cicéron dans son De Officiis, qui est beaucoup plus de son goût. On est vraiment en droit de s’étonner de la naïveté avec laquelle cet homme étale son prosaïsme et sa platitude, voire même son inintelligence absolue de l’esprit du christianisme. Mais il n’est qu’unus è multis. Brettschneider n’a-t-il pas rejeté de la Bible, par l’exégèse, le péché originel ? Or, le péché originel et le salut constituent l’essence du christianisme. D’autre part, on ne peut nier que les supranaturalistes sont parfois quelque chose de bien pire, c’est-à-dire des calotins au plus mauvais sens du mot. C’est alors au christianisme à voir comment il peut se tirer d’affaire entre Charybde et Scylla. L’erreur commune des deux partis est de chercher dans la religion la vérité non voilée, sèche, littérale. La philosophie seule aspire à celle-ci. Quant à la religion, elle n’a qu’une vérité, accommodée aux besoins du peuple : une vérité indirecte, symbolique, allégorique. Le christianisme est une allégorie qui représente une idée vraie ; mais l’allégorie en elle-même n’est pas la vérité. Admettre ceci, c’est l’erreur que partagent les supranatu-