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contrairement à la nature, l’homme du monde animal dont il fait pourtant partie essentielle ; il isole complètement l’homme, et voit dans l’animal une simple chose. Le brahmanisme et le bouddhisme, au contraire, d’accord avec la vérité, reconnaissent d’une manière positive la parenté incontestable de l’homme avec toute la nature en général et tout spécialement avec la nature animale ; et ils le représentent toujours, par la métempsycose et les autres systèmes, en étroite relation avec celle-ci. Le rôle important joué par les animaux dans le brahmanisme et le bouddhisme, comparé à sa nullité totale dans le judéo-christianisme, condamne irrévocablement ce dernier au point de vue de la perfection, si accoutumé que l’on puisse être en Europe à une pareille absurdité. En vue de pallier ce défaut fondamental, tout en le renforçant en réalité, nous trouvons ce procédé, aussi misérable qu’éhonté (je l’ai déjà fustigé dans mon Éthique[1]), qui consiste à nommer par de tout autres noms que chez l’homme les fonctions naturelles que les animaux partagent avec nous et qui prouvent absolument l’identité de notre nature avec la leur, telles que le manger, le boire, la grossesse, la naissance, la mort, le cadavre, etc. C’est réellement là un bien vilain artifice. Quant au défaut indiqué, il est une conséquence de la création du néant, à la suite de laquelle le créateur (Genèse, chap. i et ii) livre à l’homme tous les animaux, afin qu’il règne sur eux, c’est-à-dire fasse d’eux ce que bon lui semble ; il les lui livre absolument comme des choses, sans lui recommander en rien de les bien traiter, ce que fait d’ordinaire même un marchand

  1. Die Grundlage der Moral (Le fondement de la morale), § 19, 7 (T. VII, p. 263, édition Rudolf Steiner), trad. franç. chez F. Alcan.