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n’ont faussé et gâté que la connaissance, Hegel a gâté jusqu’à l’organe de la connaissance, l’intelligence même. En contraignant les égarés à faire entrer dans leur tête, comme une connaissance rationnelle, un galimatias fait des absurdités les plus grossières, un tissu de contradictiones in adjecto, un clabaudage rappelant celui des maisons de fous, le cerveau des pauvres jeunes gens, qui lisaient cela avec une édification pleine de foi, et cherchaient à se l’assimiler comme le comble de la sagesse, se détériora tellement qu’il est resté depuis lors dans l’incapacité absolue de penser. Aussi les voit-on encore jusqu’aujourd’hui se démener, employer le dégoûtant jargon hégélien, vanter le Maître, et s’imaginer très sérieusement que des phrases comme celle-ci : « La nature est l’idée dans son autrement être », disent quelque chose. Désorganiser de cette façon un jeune cerveau tendre, c’est vraiment un péché qui ne mérite ni pardon ni égards.Telle a donc été l’influence si vantée de Hegel sur ses contemporains, et elle s’est malheureusement étendue fort loin : le résultat, ici aussi, s’est montré proportionné à la cause. Ce qui peut arriver de pire à un État, c’est que la classe la plus abjecte, la lie de la société, parvienne au pouvoir. De même, ce qui peut arriver de pire à la philosophie et à tout ce qui se rattache à elle, c’est-àdire à tout le savoir et à toute la vie intellectuelle de l’humanité, c’est qu’un homme ordinaire, qui se distingue seulement par son obséquiosité, par son audace à écrire des sottises, c’est-à-dire un Hegel, soit proclamé expressément le génie par excellence et l’homme dans lequel la philosophie a atteint finalement et pour toujours son but longtemps poursuivi. Une pareille trahison envers ce que l’humanité a de plus