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Après une telle réaction succédant au plus grand progrès que la philosophie ait jamais fait, il ne faut pas nous étonner que le prétendu philosophisme de ce temps soit une méthode absolu ment dépourvue de critique, une doctrine incroyablement grossière se dissimulant sous des phrases ambitieuses, et un tâtonnement natura liste, tout cela bien pire qu’avant Kant. On y parle partout et sans façons, par exemple, avec l’impudence que donne la crasse ignorance, de la liberté morale comme d’une chose entendue et même directement sûre, de l’existence et de l’essence de Dieu comme de choses qui vont de soi, et aussi de l’ « âme » comme d’une personne universellement connue ; même l’expression « idées innées », qui depuis l’époque de Locke avait dû se cacher honteusement, ose reparaître au jour. Il faut enregistrer également ici la lourde impudence avec laquelle les hégéliens s’étendent longuement dans tous leurs écrits, sans hésitation et sans préliminaires, sur ce qu’on appelle « esprit » ; ils comptent que leur galimatias en impose bien plus que si l’on venait poser à brûlepourpoint, comme on devrait le faire, cette question à M. le professeur : « L’esprit ? Quel est donc ce gaillard-là, et d’où le connaissez-vous ? N’est-il pas uniquement une hypostase arbitraire et commode que vous ne définissez même pas, et qu’à plus forte raison vous ne déduisez ni ne démontrez ? Croyez-vous avoir devant vous un public de vieilles femmes ? » Ce serait le vrai langage à tenir à un pareil philosophastre.

J’ai déjà montré plus haut, comme un trait de caractère amusant du philosophisme de ces gens de métier, à propos de l’ « aperception synthétique », que, bien qu’ils ne pratiquent pas la doctrine de Kant, très