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nant on lui présente, sous le nom de philosophie, un amas d’idées a rebours, une doctrine de l’identité de l’etre et du non-etre, un assemblage de mots qui empeche tout cerveau sain de pen-ser, un galimatias qui rappelle un asile d’aliénés, le tout chamarré par surcroît de traits d’une épaisse ignorance et d’une colossale inintelli-gence (comme j’en ai tiré d’irréfutables du manuel de Hegel destiné aux étudiants, dans la Préface de mon Éthique, pour jeter comme il convient son summus philosophicus au nez de l’Académie danoise, cette panégyriste des bou-silleurs, auxquels elle ouvre toutes grandes ses portes, cette matrone tutélaire des charlatans phi-losophiques’), — alors l’innocente jeunesse l. On se rappelle que, si le mémoire de notre philo-sophe, Essai sur le libre arbitre (Rivages), fut couronné en 1839 par la Société royale de Drontheim, en Norvege, son mémoire sur Le Fondement de la morale, présenté l’aimée suivante a la Société royale du Danemark, ne fut pas l’objet de la meme faveur. En voici les raisons, exposées en latin par ladite Société royale : « Nous n’avons pu juger cette dissertation digne du prix. L’auteur, en effet, a dépourvue de jugement sera pleine de respect aussi pour un pareil fatras, s’imaginera que la philosophie consiste en un abracadabra de ce genre, et elle s’en ira avec un cerveau paralysé ou les mots désormais passeront pour des idées ; elle se trouvera donc a jamais dans l’impossibi-lité d’émettre des idées véritables, et son esprit sera châtré. De la sort donc une génération de cerveaux impuissants et a l’envers, mais excessi-vement prétentieux, débordant d’intentions, indi-gents d’idées, tels que ceux que nous avons sous les yeux. C’est l’histoire intellectuelle de milliers de gens dont la jeunesse et les meilleures forces ont été empestées par cette pseudo-philosophie ; or eux aussi auraient du participer au bienfait oublié le véritable point en question, et a cru qu’on lui demandait de créer un principe de morale. Il a, de plus, voulu fonder la morale sur la sympathie ; or sa méthode de discussion ne nous a point satisfaits, et il n’a nullement réussi a prouver qu’une telle base fut suffisante. Enfin, nous ne croyons pas devoir le dissimuler, l’auteur mentionne divers philosophes contemporains, des plus émi-nents, sur un ton d’une telle inconvenance qu’on est en droit de s’en offenser gravement. » Schopenhauer fut outré de son échec et de cet arret, et il ne cessa depuis lors, chaque fois que l’occasion s’en offrit, de malmener la Société royale danoise qui le tenait en si pietre estime. (N.d.T.)