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exposent habituellement des idées abstraites générales et excessivement larges qui revetent nécessairement, dans la plu-part des cas, une expression indéterminée, hési-tante, amortie. Mais ils sont contraints a cette marche acrobatique parce qu’ils doivent se gar-der de toucher la terre, ou, rencontrant le réel, le déterminé, le détail et la clarté, ils se heurteraient a des écueils dangereux, qui mettraient en danger leur trois-mâts avec sa cargaison de mots. Au lieu de diriger vigoureusement et sans écarts leurs sens et leur intelligence vers le monde visible, comme la chose vraiment donnée, non falsifiée et non exposée en elle-meme a l’erreur, grâce a laquelle nous pouvons en conséquence pénétrer dans l’essence des choses, ils ne connaissent que les plus hautes abstractions, telles que etre, essence, devenir, absolu, infini, etc. Ils partent a priori de celles-ci et bâtissent sur elles des systemes dont le fond n’aboutit en réalité qu’a des mots, qui ne sont a vrai dire que des bulles de savon ; on peut jouer un instant avec elles, mais, des qu’elles atteignent le sol de la réalité, elles crevent.

Si, avec tout cela, le tort causé a la science par les incapables se bornait a ce qu’ils ne pro-duisent rien, on pourrait, comme en matiere de beaux-arts, s’en consoler et passer par-dessus. Malheureusement, sur ce terrain-la, ils occasion-nent des dommages réels, avant tout parce que, pour faire valoir le mauvais, ils se liguent tous en une alliance naturelle contre le bon, et travaillent de toutes leurs forces a empecher son succes. Il ne faut pas se faire illusion a ce sujet : en tout temps, sur toute la surface du globe, en toute cir-constance, la nature elle-meme a organisé une conjuration de tous les cerveaux médiocres, méchants et niais contre