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pourtant : il est de leur intéret que ce qui est plat et inepte passe pour être quelque chose. Mais cela est impossible, si l’on rend immédiatement justice a ce qui est vrai, grand, profondément pensé. Aussi, pour étouffer le bon et faire valoir sans obstacles le mauvais, ils font bloc, a la façon de tous les faibles, forment des coteries et des partis, s’emparent des journaux littéraires dans lesquels, comme dans leurs livres, ils parlent avec un profond respect et un air important de leurs chefs-d’œuvre respectifs, et, grâce a ces moyens, menent par le nez le public myope. Ils ressemblent aux véritables phi-losophes a peu pres comme les anciens maîtres chanteurs aux poetes’. A l’appui de ce que j’avance, on n’a qu’a voir les gribouillages de la . philosophie universitaire exposés a la foire aux livres, avec les journaux littéraires qui leur vien-nent en aide. Les gens compétents peuvent considérer la rouerie avec laquelle ceux-ci s’efforcent, le cas échéant, de présenter les écrits de valeur comme n’en ayant pas, et les ruses auxquelles ils recourent pour les dérober a l’attention du public, en vertu de cet adage de Publius Syrus : Jacet ornnis virtus,.fanla nisi late patet’. (Voir Publii Svri et uliort+m sententiae. Ex recensione.1. Gruteri, Misene, 1790, vers 280.) Puis, en suivant cette voie et en avançant dans cet examen, qu’on se rende compte du mal com-mis par les disciples de Schelling d’abord, et ensuite, bien plus encore, par les hégéliens. Qu’on fasse pour cela un effort sur soi-meme et qu’on feuillette leur dégoutant fatras ; car pré-tendre qu’on le lise, il est impossible de l’exiger. Cela fait, que l’on réfléchisse et que l’on suppute le temps inappréciable, joint au papier et a l’argent, que, durant un demi-siecle, le public a du perdre avec ces bousillages. Sans doute, la patience du public est incompréhensible aussi : ne lit-il pas le bavardage annuel dee philoso-phastres sans esprit, en dépit de l’ennui accablant qui pese sur lui comme un brouillard épais ! C’est qu’on lit et que l’on continue a lire sans rencontrer une seule pensée, car l’écrivain, qui lui meme n’avait pas une idée nette et précise, entasse mots sur mots, phrases sur phrases, et cependant ne dit rien, et veut néanmoins parler ; en conséquence, il choisit ses mots non selon qu’ils expriment d’une façon plus frappante ses idées et ses vues, mais selon qu’ils dissimulent plus habilement sa pauvreté sous ce rapport. Cependant, on imprime, on achete et on lit tout cela ; et la chose dure déja depuis un demi-siecle, sans que les lecteurs se soient aperçus que, suivant l’expression espagnole, papan viento, c’est-a-dire qu’ils n’avalent que du vent. Il me faut ajouter ici, pour etre équitable, que le moulin ne marche souvent qu’au moyen d’un truc tout spécial dont l’invention est imputable a MM. Fichte et Schelling. Ce truc consiste a écrire d’une façon obscure, c’est-a-dire incom-préhensible ; la finesse est d’arranger son gali-matias de maniere a faire croire au lecteur que la faute en est a lui-meme s’il ne le comprend pas ; tandis que l’écrivain sait tres bien qu’il en est seul responsable, vu qu’il ne dit rien qui soit réellement compréhensible, c’est-a-dire claire-ment pensé. Sans ce truc, MM. Fichte et Schel-ling n’auraient pu mettre sur pied leur pseudo-gloire. Mais, c’est connu, personne n’a pratiqué ce meme truc aussi audacieusement et au meme degré que Hegel. (1) Les maîtres chanteurs — Meistersciriger — substitue-rent, au xv` siecle, la poésie bourgeoise au lyrisme cheva-leresque dont les MinnesÜn, qer avaient été auparavant les interpretes. Ils organiserent le chant sur le modele des cor-porations qui régissaient a cette époque l’ensemble de la vie communale. Ils firent bien moins aeuvre de poésie que d’instruction et de moralité pour le peuple. flans Sachs fut un de leurs adeptes. Cette association se prolongea, avec des fortunes diverses, jusqu’en 1833. (N.d.T.)

(2) « C’en est fait de tout mérite, s’il n’apparaît pas manifestement. » 86


On sait en quoi consiste l’idée fondamentale de sa prétendue philosophie : renversant l’ordre réel et naturel des choses, il fait des notions générales que nous abstrayons de la vue empi-rique, notions qui naissent par conséquent en écartant par la pensée les déterminations, et qui sont d’autant plus générales qu’elles sont plus vides ; il fait d’elles la chose premiere, origi-nelle, vraiment réelle (la chose en soi, en langage kantien), en vertu (le laquelle le monde empi-rique réel a tout d’abord son existence. S’il avait exposé nettement des le début, en mots clairs et compréhensibles, ce monstrueux i3wrepov TrpoTEpov (proposition renversée), cette idée absolument extravagante, eu ajoutaut que de telles not