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cents ans marche parallè lement avec l’histoire des États, en lui donnant sa note fondamentale, peut à peine enregistrer un philosophe fameux sur cent monarques fameux que compte l’histoire desdits États.

Ce n’est en effet que dans des cerveaux isolés que la nature est parvenue a une conscience plus claire d’elle-meme. Mais ceux-ci ont si peu de points de contact avec le vulgaire et avec la foule que la plupart ne sont appréciés a leur juste valeur qu’apres leur mort, ou tout au plus dans un âge avancé. Ainsi, la gloire d’Aristote, _qui par la suite se répandit plus lômqu âucune autre, n’a commencé, selon toute apparence, que deux siecles apres lui. Ép, içu.re dont le nom est connu aujourd’hui encore, meme de la grande masse, a vécu et est mort completement ignoré a Athenes (Séneque, Lettre LXXIX). Giordano Bruno et Spinoza ne furent appréciés et honorés q é flans lé siecle suivant. Meme David Hume, qui écri-vait d’une façon si claire et si populaire, attendit jusqu’a l’âge de cinquante ans qu’on fit attention a lui, quoiqu’il eut publié depuis longtemps ses œuvres. Kant ne devint célebre qu’a plus de soixante ans. Les choses vont plus vite, il est vrai, avec les philosophes universitaires de nos jours ; car ils n’ont pas de temps a perdre. Tel professeur annonce la doctrine de son collegue de l’université voisine, comme le sommet enfin atteint de la sagesse humaine ; et voila celui-ci devenu aussitôt un grand philosophe, qui prend immédiatement sa place dans l’histoire de la philosophie, je veux dire dans celle qu’un troisieme collègue prépare pour la foire aux livres prochaine ; ce dernier, a son tour, ajoute ingénument aux noms immortels des martyrs de la vérité de tous les siecles les honorables noms de ses col-legues bien