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complètement aux yeux le but élevé de notre existence.

Que la philosophie ne se prête pas à être un gagne-pain, c’est ce que Platon a déjà démontré dans ses peintures des sophistes, qu’il oppose à Socrate ; au début du Protagoras, en particulier, il a décrit de la façon la plus amusante, avec un comique incomparable, la manière de faire de ces gens-là et le succès obtenu par eux. Gagner de l’argent au moyen de la philosophie, c’était, chez les Anciens, le signe qui distinguait le sophiste du philosophe. Le rapport des sophistes aux philosophes était, en conséquence, tout à fait analogue à celui d’une jeune fille qui se donne par amour, comparée à la fille de joie qui se fait payer. C’est ainsi que Socrate dit, par exemple (Xénophon, Mémoires sur Socrate, Livre I, chap. VI) : « Antiphon, ne voyons-nous pas parmi nous qu’on peut faire de la beauté, comme de la sagesse, un emploi honnête ou honteux ? Celui qui trafique de la beauté avec qui veut la lui payer s’appelle un prostitué ; mais celui qui, connaissant un homme vertueux, cherche à s’en faire un ami est estimé un homme sensé. Il en va de même de la sagesse : ceux qui trafiquent avec qui veut la leur payer s’appellent sophistes ou bien prostitués ; mais celui qui, reconnaissant dans un autre un bon naturel, lui enseigne tout ce qu’il sait de bien et s’en fait un ami est estimé un homme fidèle aux devoirs d’un bon citoyen. » Que pour cette raison Socrate ait rangé Aristippe parmi les sophistes, et qu’Aristote ait fait de même, je l’ai déjà démontré dans mon œuvre principale. (Supplément au § 15 du livre premier, chap. XVII.) Stobée indique que les stoïciens aussi étaient du même avis : « Quant à réclamer de l’argent des disciples, il y eut dissentiment