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un avant-goût de ce qui mérite l’attention et de ce qui en est indigne.

Oh ! dans quelle vilaine situation vas-tu te trouver, mon pauvre Jean du désert, si, comme cela est à prévoir, ce que tu apportes n’est pas conforme à la convention tacite de ces messieurs de la philosophie lucrative ! Ils te regarderont comme un homme qui n’a pas saisi l’esprit du jeu, et menace par là de le leur gâter à tous ; partant, comme leur adversaire et leur ennemi commun. Ce que tu apportes serait-il le plus grand chef-d’œuvre de l’esprit humain, qu’il ne trouverait nullement grâce à leurs yeux. Il ne serait pas, en effet, conforme ad normam conventionis, c’est-à-dire tel qu’ils pourraient en faire l’objet de leur exposé en chaire, pour en vivre aussi. Un professeur de philosophie n’a pas l’idée d’examiner un nouveau système au point de vue de la vérité, mais il recherche simplement aussitôt si l’on peut le faire accorder avec les doctrines de la religion du pays, les opinions gouvernementales et les vues régnantes du temps. Alors, il décide de son sort. Si, cependant, ce système faisait son chemin, s’il attirait, comme instructif et révélateur, l’attention du public, qui le jugerait digne d’être étudié, il préjudicierait dans une mesure égale au prestige, au crédit et, ce qui est pire, au placement de la philosophie débitée en chaire.

Dî meliora ! Aussi ne faut-il pas qu’un pareil système grandisse, et tous doivent-ils faire bloc contre lui. La méthode et la tactique en cette matière sont bien vite données par un heureux instinct, comme le possède chaque être pour sa conservation. Attaquer et réfuter une philosophie en opposition avec la norma conventionis, c’est souvent, surtout quand on y devine des mérites