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de la susdite trahison envers la philosophie est donc inévitable : c’est le mépris des voisins pour la nation, et de la postérité pour l’époque. Car on récolte ce qu’on a semé, et on ne vous fait pas grâce.

J’ai parlé plus haut de la puissante influence de la nourriture intellectuelle sur l’époque. Elle repose sur le fait que cette nourriture détermine aussi bien la matière que la forme de la pensée. même façon dans l’État civilisé. Celle-ci témoigne en effet que la force bestiale, dont le signe caractéristique est cette excroissance particulière au sexe mâle, a dû céder à la loi, à l’ordre et à la civilisation. La barbe augmente la partie animale du visage et la met en relief : elle lui donne par là son aspect si étrangement brutal : on n’a qu’à regarder de profil un homme à barbe pendant qu’il lit ! On voudrait faire passer la barbe pour un ornement : c’est un ornement que, depuis deux cents ans, on n’était accoutumé à trouver que chez les juifs, les Cosaques, les capucins, les prisonniers et les voleurs de grands chemins. La férocité et l’air atroce que la barbe imprime à la physionomie proviennent de ce qu’une masse respectivement sans vie occupe la moitié du visage, et la moitié exprimant le côté moral. En un mot, toute la pilosité est bestiale, tandis que sa suppression est le signe d’une civilisation supérieure. La police est d’ailleurs en droit de défendre la barbe, parce qu’elle est un demi-masque sous lequel il est difficile de reconnaître son homme, et qui favorise tous les désordres.

Aussi y a-t-il lieu de tenir grand compte de ce qui est loué, et par conséquent lu. Penser avec un véritable grand esprit, cela en effet fortifie notre propre esprit, lui imprime un mouvement régulier, l’élan qui convient ; c’est une action analogue à la main du maître d’écriture qui conduit celle de l’enfant. En revanche, penser avec des gens qui n’ont en vue que l’apparence, par conséquent la mystification du lecteur, comme Fichte, Schelling et Hegel, cela gâte le cerveau dans la même mesure. Le résultat est le même quand on pense avec des têtes à l’envers ou avec des gens qui, comme Herbart, ont pris le contrepied des choses. Au demeurant, lire les écrits des cerveaux sim