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le monde comme volonté et comme représentation

quement : en effet, la violence du caractère se rattache à un accroissement d’énergie des pulsations du cœur et de la circulation et celui-ci augmente physiquement l’activité du cerveau. D’autre part, la clarté de l’intelligence rend plus intenses, par le moyen d’une aperception plus vive des circonstances extérieures, les affections provoquées par celles-ci. C’est pourquoi, par exemple, de jeunes veaux se laissent tranquillement emballer dans une voiture qui les emporte ; tandis que les jeunes lions, si on les sépare seulement de leur mère, demeurent dans une agitation continuelle et crient sans relâche du matin au soir ; des enfants, dans la même position, crieraient et se tourmenteraient jusqu’à en mourir. La vivacité et la violence du singe sont dans un rapport très étroit avec le développement déjà remarquable de son intelligence. D’une manière générale, c’est en vertu de cette influence réciproque que l’homme est susceptible de douleurs bien plus grandes que l’animal et qu’il peut tirer aussi plus de joie des affections satisfaites et agréables. De même le degré d’élévation de son intellect le rend plus sensible à l’ennui que l’animal, et cette même élévation devient, quand elle est particulièrement parfaite dans un individu, une source inépuisable de passe-temps. Dans l’ensemble donc, le phénomène de la volonté chez l’homme est au phénomène volitif chez l’animal appartenant aux trois espèces supérieures, ce qu’un son attaqué est à sa quinte prise trois ou quatre octaves plus bas. Mais ces différences de l’intellect et par là de la conscience, sont également grandes et présentent des nuances infinies, entre les diverses espèces animales. Le simple substitut de conscience, que nous avons assigné à la plante, sera à l’existence subjective bien plus sourde encore d’un corps inorganique, ce que la conscience du dernier des animaux est à cette quasi-conscience de la plante. Si l’on veut se faire une idée concrète de ces dégradations innombrables de la conscience, on n’a qu’à se les figurer sous la forme de la vitesse différente, dont sont animés des points inégalement distants du centre d’une plaque tournante. Mais, comme nous le voyons au IIIe livre, c’est la gamme, dans toute son étendue, depuis le dernier son encore perceptible jusqu’au plus élevé, qui fournit l’image la plus juste, je dirai même l’image naturelle de cette dégradation. — C’est le degré de conscience qui détermine le degré d’existence d’un être. Car toute existence immédiate est subjective ; l’existence objective se trouve dans la conscience d’un autre, n’existe donc que pour lui, c’est-à-dire tout à fait médiatement. La diversité de degrés dont est susceptible la conscience différencie autant les êtres que la volonté les fait égaux, car cette dernière est l’élément commun qui se rencontre dans tous.