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vue objective de l’intellect

pureté et de précision. Ce phénomène ne se présente d’une manière tout à fait caractéristique que chez l’homme : chez lui seul s’opère une séparation tranchée du connaître et du vouloir. C’est là un point important, que je ne fais qu’effleurer, pour en montrer la place et le reprendre plus loin. — Mais ce dernier pas même dans l’extension et le perfectionnement du cerveau, et par là dans l’accroissement des facultés de connaissance, la nature ne le fait, comme tous les autres, qu’à la suite de l’accroissement des besoins, c’est-à-dire en vue de servir la volonté. La fin que celle-ci poursuit et atteint dans l’homme est sans doute, en ce qui concerne l’essentiel, la même et rien de plus que la fin de la volonté dans l’animal, à savoir la conservation et la perpétuation. Mais grâce à l’organisation de l’homme, les conditions nécessaires pour atteindre cette fin se sont tellement multipliées, élevées et spécifiées, que pour arriver au but un accroissement de l’intellect à un degré incomparablement plus élevé que celui de tous les échelons antérieurs se présentait comme un moyen nécessaire, ou du moins comme le moyen le plus facile. Et comme l’intellect, conformément à son essence, est un instrument qui sert à de nombreux usages, qui est également applicable aux fins les plus diverses, la nature, fidèle à son esprit d’économie, a voulu dorénavant répondre par lui seul à toutes les exigences des besoins devenus si divers ; aussi a-t-elle placé l’homme sans vêtement, sans arme défensive ni offensive, l’homme extrêmement débile et ne présentant que peu de force de résistance contre l’indigence ou les influences nuisibles, l’a-t-elle placé, dis-je, dans le monde, s’en remettant de l’entretien de son existence à cet unique et grand instrument, à côté duquel elle n’avait conservé que les mains, empruntées à l’échelon immédiatement inférieur, aux singes. Mais par cette prédominance de l’intellect, ce n’est pas seulement l’aperception des motifs, leur diversité et en général l’horizon des fins qui sont accrus, c’est encore la précision, avec laquelle la volonté prend conscience d’elle-même, précision qui est poussée au plus haut degré, à la suite de la clarté grandissante de la conscience tout entière, et qui, soutenue par la faculté de connaître abstraitement, s’élève jusqu’à la réflexion parfaite. Mais par là, ainsi que par la véhémence nécessairement supposée d’une volonté substrat d’un intellect ainsi accru, s’est produite une augmentation d’intensité de toutes les affections, et la possibilité des passions, que l’animal ne connaît proprement pas. Car la violence de la volonté va d’un même pas avec l’accroissement de l’intellect, et cela parce que cet accroissement provient en réalité des besoins grandissants et des exigences plus impérieuses de la volonté. D’ailleurs cette volonté devenue plus véhémente, cet intellect devenu plus pénétrant se soutiennent récipro-