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le monde comme volonté et comme représentation

Bell, de Magendie, de Marshall Hall ont également enrichi la matière sur laquelle s’exerce cette méthode et y ont apporté plus de précision. Une philosophie, comme celle de Kant, qui ignore entièrement cette façon d’envisager l’intellect, est étroite et par là même insuffisante. Elle laisse entre notre savoir physiologique et notre science philosophique un abîme infranchissable, et de la sorte n’arrive pas à nous donner satisfaction.

Tout ce que j’ai dit dans les deux chapitres précédents sur la vie et l’activité cérébrale appartient déjà à cette manière de voir ; de même les explications fournies dans mon traité Sur la volonté dans la nature sous la rubrique Physiologie des plantes, ainsi qu’une partie des éclaircissements contenus dans la rubrique Anatomie comparée. Néanmoins l’exposé qui va suivre des résultats de toutes ces recherches ne sera nullement superflu.

On se rendra plus vivement compte de ce contraste éclatant entre les deux manières de voir indiquées, en allant jusqu’au bout de l’une et de l’autre, et en remarquant que ce que l’une reçoit immédiatement comme son objet sous forme de pensée réfléchie et d’intuition vivante, n’est pour l’autre rien de plus que la fonction physiologique d’un intestin, le cerveau ; que cette dernière nous autorise même à affirmer que tout le monde objectif, si illimité dans l’espace, si infini dans le temps, si impénétrable dans la perfection, n’est au fond qu’un certain mouvement, qu’une certaine affection de la masse moléculaire du cerveau. Et alors on se demande étonné : Qu’est-ce que ce cerveau dont la fonction produit ce phénomène de tous les phénomènes ? Quelle est la matière qui se transforme en une masse moléculaire si affinée, si délicate que l’excitation de quelques-unes de ses particules devient la condition et le support de l’existence d’un monde objectif ? La crainte d’aborder ces problèmes a engendré l’hypostase d’une substance simple, l’âme, ayant son siège dans le cerveau. Nous, nous dirons sans peur : cette masse moléculaire, elle aussi, comme toute partie animale ou végétative, est une forme organique, semblable aux masses moléculaires analogues, qui s’abritent dans la tête plus pauvre de nos frères sans raison, jusqu’au dernier qui est à peine capable d’appréhender ; toutefois, cette masse moléculaire organique est le dernier produit de la nature, lequel suppose déjà existants tous les autres. Mais en lui-même et en dehors de la représentation le cerveau est, comme tout le reste, volonté. Car exister pour un autre c’est être représenté, exister en soi est vouloir : et de là vient que la méthode purement objective ne nous fera jamais pénétrer à l’intérieur des choses ; quand nous essayons empiriquement et du dehors d’en trouver le fond intime, cet intérieur se transforme régulièrement, dans nos mains, en quelque chose d’ex-