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CHAPITRE XXII[1]
VUE OBJECTIVE DE L’INTELLECT


Il y a deux manières tout à fait distinctes de considérer l’intellect, suivant le point de vue où l’on se place ; et si opposées que soient par là même ces deux manières de voir, il faut pourtant les mettre en harmonie. — L’une est la manière subjective ; partant du dedans et prenant la conscience comme donnée, elle nous montre par quel mécanisme le monde s’y représente, comment il s’y construit avec les matériaux fournis par les sens et l’entendement. Locke est le promoteur de cette méthode ; Kant l’a portée à un degré de perfection incomparablement plus élevée, et moi-même j’y ai consacré mon premier livre et ses compléments.

La manière de voir opposée est la manière objective. Elle prend son point de départ au dehors, choisit comme son objet, non pas la conscience propre, mais les êtres donnés dans l’expérience externe, conscients d’eux-mêmes et du monde, puis elle recherche quel est le rapport de l’intellect de ces êtres à leurs autres qualités, par quoi il a été rendu possible et nécessaire, et ce qu’il leur fournit. Le point de vue où se place cette méthode est le point de vue empirique : en partant du monde et des êtres animés qui s’y trouvent, elle les prend comme absolument donnés. Elle sera donc essentiellement zoologique, et ne deviendra philosophique qu’en s’unissant à la première manière de voir et au point de vue plus élevé sur lequel se fonde celle-ci. La base fournie jusqu’à nos jours à cette méthode d’envisager l’intellect est due principalement aux zoologistes et aux physiologistes et parmi eux surtout aux Français. Citons au premier rang Cabanis, dont l’excellent ouvrage Des rapports du physique et du moral a frayé la voie à cette méthode. En même temps que lui s’affirmait Bichat, mais il a embrassé une matière bien plus vaste. Même Gall doit être nommé ici, bien que le but principal poursuivi par lui ait été manqué. L’ignorance et la prévention ont jeté à cette méthode le reproche de matérialisme, parce que, s’en tenant exclusivement à l’expérience, elle ne connaît pas la substance immatérielle, l’âme. Les progrès les plus récents dans la physiologie du système nerveux, les découvertes de Charles

  1. Ce chapitre se rapporte à la dernière moitié du § 27 du premier volume.