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CHAPITRE XXI
REVUE ET CONSIDÉRATION GÉNÉRALE


Si l’intellect n’était pas de nature secondaire, comme le démontrent les deux chapitres précédents, on ne comprendrait pas que tout ce qui se produit sans lui, c’est-à-dire sans l’intervention de la représentation, comme par exemple la génération, le développement et la conservation de l’organisme, le remplacement ou la restauration partielle de parties mutilées, la crise salutaire dans les maladies, les œuvres des facultés artistiques des animaux et les produits de l’instinct en général, on ne comprendrait pas, dis-je, que tout cela soit infiniment meilleur et plus parfait que ce qui se fait à l’aide de l’intellect, à savoir les produits et les œuvres conscientes et voulues de l’homme, et que celles-ci ne soient au regard des autres que du bousillage. D’une manière générale, le terme nature désigne ce qui agit, ce qui excite, ce qui crée sans l’intermédiaire de l’intellect. L’objet principal de ce second livre, ainsi que du traité Sur la volonté dans la nature, est précisément de montrer l’identité de cette nature avec ce que nous trouvons sous forme de volonté. Ce qui rend possible cette connaissance fondamentale de la volonté, c’est qu’elle est éclairée en nous par l’intellect, qui apparaît ici comme conscience de soi ; sans quoi, nous ne la connaîtrions pas plus en nous qu’en dehors de nous, et nous demeurerions éternellement en face de forces naturelles impénétrables. Il faut supprimer par la pensée ce concours de l’intellect, si nous voulons saisir l’essence de la volonté en soi, et, par là, pénétrer autant que possible à l’intérieur de la nature.

Aussi dirai-je en passant que, parmi les philosophes, mon antipode direct est Anaxagore. Car il a considéré arbitrairement comme l’élément premier et originel, d’où dérive le reste, un νους, une intelligence, un sujet représentant, et il passe pour avoir le premier établi cette manière de voir. D’après lui, le monde aurait existé dans la simple représentation avant d’exister en lui-même ; tandis que, chez moi, c’est la volonté qui fonde la réalité des choses ; celles-ci n’arrivent, dans la conscience animale, à la représentation et à l’intelligence qu’après une très longue évolution, si bien que dans ma théorie c’est la pensée qui apparaît en dernier lieu. En attendant, si nous en croyons Aristote (Métaph., I, 4),