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rens, et celui-ci est si édifié qu’il récite deux fois cette litanie (I, 33 ; II, 135), pour en exorciser infailliblement l’ignorant Bichat. Car celui-ci ne connaît ni âme, ni corps, mais seulement une vie animale et une vie organique ; aussi M. Flourens, plein de condescendance, lui apprend-il qu’il faut nettement distinguer les parties où siègent les passions, des parties qu’elles affectent. D’après Flourens les passions agissent donc à un endroit et se trouvent à un autre. Les objets physiques n’agissent généralement que là où ils se trouvent ; mais dans l’âme immatérielle il n’en va plus de même. Je me demande, par exemple, ce que M. Flourens et son oracle ont réellement entendu par cette distinction de la place et du siège, entre l’action de siéger et celle d’affecter. — L’erreur fondamentale de M. Flourens et de son Descartes a été de confondre les motifs, ou impulsions des passions, lesquels, en tant que représentations, siègent sans doute dans l’intellect, c’est-à-dire dans le cerveau, de les confondre, dis-je, avec les passions mêmes qui, en tant que mouvements de la volonté, sont situées dans tout le corps, et nous savons que celui-ci est la volonté même, vue intuitivement.

La seconde autorité de M. Flourens est, comme nous l’avons dit, Gall. J’ai dit, sans doute, au commencement de ce XXe chapitre (et cela déjà dans l’édition antérieure) : « La plus grande erreur de la théorie crânienne de Gall a été d’assigner des organes cérébraux même aux qualités morales. » Mais ce que je blâme et rejette, c’est précisément ce que loue et admire M. Flourens. Ne porte-t-il pas dans son cœur le « les volontés sont des pensées » de Descartes ? Aussi bien, il dit, p. 144 : « Le premier service que Gall a rendu à la physiologie ( ?) a été de ramener le moral à l’intellectuel, et de faire voir que les facultés morales et les facultés intellectuelles sont des facultés de même ordre, et de les placer toutes, autant les unes que les autres, uniquement et exclusivement dans le cerveau. » Ma philosophie tout entière en quelque sorte, mais principalement le XIXe chapitre de ce volume, consiste dans la réfutation de cette erreur radicale. M. Flourens, au contraire, ne se lasse pas de la célébrer comme une grande vérité et de chanter les louanges de Gall, qui l’a découverte. Ainsi, p. 147 : « Si j’en étais à classer les services que nous a rendus Gall, je dirais que le premier a été de ramener les qualités morales au cerveau. » p. 153 : « Le cerveau seul est l’organe de l’âme, et de l’âme dans toute la plénitude de ses fonctions » (on voit que le fond de toutes ces affirmations, le noyau qui se cache sous elles, c’est toujours l’âme simple de Descartes) ; « il est le siège de toutes les facultés morales, comme de toutes les facultés intellectuelles… Gall a ramené le moral à l’intellectuel, il a ramené les qualités morales au même siège, au même organe, que les facultés intellectuelles. » Oh ! que Bichat et