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objectivation de la volonté dans l’organisme animal

male, c’est-à-dire celle du cerveau, n’est pas atteinte par tout ceci et continue tranquillement sa marche. Il invoque aussi ce fait que, pour désigner des opérations intellectuelles, nous portons la main à la tête, que nous mettons la main sur le cœur, l’estomac, les intestins, quand nous voulons exprimer notre amour, joie, douleur ou haine, et il observe que celui-là serait un mauvais acteur qui, en parlant de son chagrin, porterait la main à la tête, ou qui la mettrait sur le cœur, en parlant de sa tension d’esprit. Il observe encore que, tandis que les savants font siéger ce qu’on appelle l’âme dans la tête, le peuple désigne dans tous les cas par des expressions justes la différence nettement sentie entre l’intellect et les affections de la volonté ; ainsi, il parle d’une tête intelligente, solide, distinguée, il dira au contraire : un bon cœur, un cœur sensible ; « la colère bout dans mes veines, agite mon fiel, mes entrailles tressaillent de joie, la jalousie empoisonne mon sang », etc. « Les chants sont le langage des passions, de la vie organique, comme la parole ordinaire est celui de l’entendement, de la vie animale ; la déclamation tient le milieu, elle anime la langue froide du cerveau, en y mêlant la langue expressive des organes intérieurs du cœur, du foie, de l’estomac, etc. » Sa conclusion est celle-ci : « La vie organique est le terme où aboutissent et le centre d’où partent les passions. » Rien n’est plus propre que cet excellent et profond ouvrage à confirmer et à préciser ce fait, que le corps n’est que la volonté elle-même corporifiée (c’est-à-dire vue par l’intermédiaire des fonctions cérébrales, du temps, de l’espace et de la causalité), d’où il suit que la volonté est l’élément primaire et originel, tandis que l’intellect, simple fonction cérébrale, est l’élément secondaire et dérivé. Mais ce qui, dans le développement de la pensée de Bichat, m’a le plus rempli d’admiration et de joie, c’est que ce grand anatomiste, en suivant la voie de considérations purement physiologiques, est arrivé jusqu’à expliquer l’immutabilité du caractère moral par ce fait, que la vie animale seule, c’est-à-dire la fonction du cerveau, est soumise à l’influence de l’éducation, de l’exercice, de la culture et de l’habitude, que le caractère moral, au contraire, appartient à la vie organique, celle des autres parties, laquelle ne peut pas être modifiée par le dehors. Je ne puis m’empêcher de reproduire ici ce passage, qui se trouve à l’art. 9, § 2 : « Telle est donc la grande différence des deux vies de l’animal (cérébrale ou animale, et organique), par rapport à l’inégalité de perfection des divers systèmes de fonctions, dont chacune résulte ; savoir, que dans l’une la prédominance ou l’infériorité d’un système, relativement aux autres, tient presque toujours à l’activité ou à l’inertie plus grandes de ce système, à l’habitude d’agir ou de ne pas agir ; que dans l’autre, au contraire, cette prédominance ou cette infériorité sont immédiate-