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le monde comme volonté et comme représentation

un vouloir véritable, étant simplement la supputation réfléchie des motifs, dont la conclusion ou le total apparaît en dernier lieu comme acte de volonté. Tout ce que j’attribue à la volonté proprement dite, il le met au compte de la vie organique, et ce que je regarde comme intellect est chez lui vie animale ; cette dernière a son siège circonscrit dans le cerveau et ses dépendances ; l’autre au contraire est répandue dans tout l’organisme.

Le contraste fondamental où il fait voir ces deux vies en regard l’une de l’autre, répond au contraste que présente ma doctrine entre la volonté et l’intellect. Pour l’établir il part, en sa qualité d’anatomiste et de physiologiste, de l’objectif, c’est-à-dire de la conscience d’autre chose ; en ma qualité de philosophe, je pars du subjectif, de la conscience de soi ; et c’est un plaisir de voir comme, telles les deux voix dans un duo, nous nous harmonisons, bien que chacun émette des sons particuliers. Que celui-là donc qui voudra me comprendre le lise ; pour le comprendre plus à fond qu’il ne s’est compris lui-même, qu’on me lise. Bichat nous montre, à l’article 4, que la vie organique commence avant la vie animale et s’éteint après elle, qu’elle a par conséquent, cette dernière chômant de plus dans le sommeil, presque le double de sa durée ; il fait voir, aux articles 8 et 9, que la vie organique produit tous ses actes sur-le-champ, avec une perfection spontanée, que la vie animale au contraire a besoin d’un exercice prolongé et d’une éducation. Il est surtout intéressant dans le sixième article, où il établit que la vie animale est entièrement limitée aux opérations intellectuelles, qu’elle se développe par conséquent froide et sans intérêt, tandis que les affections et les passions ont leur siège dans la vie organique, bien que leurs impulsions se trouvent dans la vie animale, c’est-à-dire cérébrale ; sur ce sujet il a dix pages exquises, que je voudrais transcrire entièrement. Page 50, il dit : « Il est sans doute étonnant que les passions n’aient jamais leur terme ni leur origine dans les divers organes de la vie animale ; qu’au contraire les parties servant aux fonctions internes soient constamment affectées par elles, et même les déterminent suivant l’état où elles se trouvent. Tel est cependant ce que la stricte observation nous prouve. Je dis d’abord que l’effet de toute espèce de passion, constamment étranger à la vie animale, est de faire naître un changement, une altération quelconque dans la vie organique. » Puis il fait voir comment la colère agit sur la circulation du sang et les pulsations du cœur, comment agissent sur elles la joie et la crainte ; puis, comment les poumons, l’estomac, les intestins, le foie, les glandes et le pancréas sont affectés par ces mouvements de l’âme et autres analogues, et comment le chagrin diminue la nutrition ; et à la suite de ces remarques, il observe que la vie ani-