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objectivation de la volonté dans l’organisme animal

au contraire, comme l’a fait Brandis, dans les passages de son livre Sur l’application du froid que j’ai cités dans ma dissertation Sur la volonté dans la nature, dire que la volonté elle-même est malade, c’est énoncer une grave méprise. Si je prends note de cette méprise, si je remarque en même temps que Brandis, dans son livre antérieur Sur la force vitale, lequel date de 1793, ne paraît même pas soupçonner que cette force en soi est la volonté, qu’il y dit au contraire (p. 13) : « La force vitale ne peut pas être l’essence que nous ne connaissons que par la conscience, puisque la plupart des mouvements se produisent sans conscience. Affirmer que cette essence, dont l’unique caractère à nous connu est la conscience, agit inconsciemment sur le corps, c’est tout au moins affirmer d’une manière arbitraire et sans preuves ; » et p. 14 : « Les objections de Haller militent irréfutablement, comme je crois, contre la théorie suivant laquelle tout mouvement de vie est un acte de l’âme ; » — si je considère, de plus, que son livre Sur l’application du froid, où la volonté apparaît tout à coup et d’une manière si tranchée comme force vitale, a été écrit dans sa soixante-dixième année, âge auquel personne n’a jusqu’ici commencé à trouver des vues originales ; — si je note encore ce fait, qu’il s’y sert précisément de mes expressions de « volonté et représentation » et non de celles alors plus usitées de « pouvoir de désirer et de connaître », — à la suite de toutes ces considérations, et contrairement à ma supposition première, je suis convaincu aujourd’hui qu’il m’a emprunté sa vue fondamentale, et avec l’honnêteté qui caractérise aujourd’hui le monde savant, qu’il n’en a rien dit. On trouvera plus de détails à ce sujet dans la deuxième (et troisième) édition de mon écrit Sur la volonté dans la nature, p. 14.

Rien n’est plus propre à confirmer et à éclaircir la thèse qui nous occupe dans le présent chapitre, que l’ouvrage justement célèbre de Bichat Sur la vie et la mort. Ses considérations et les miennes se soutiennent réciproquement, les siennes fournissant le commentaire physiologique aux miennes, et celles-ci étant le commentaire philosophique des siennes ; si on nous lit en même temps, on nous comprendra mieux l’un et l’autre. Je parle principalement ici de la première moitié de son ouvrage, intitulée Recherches physiologiques sur la vie. Il donne comme base à ses explications le contraste de la vie organique et de la vie animale, qui répond à ma distinction entre la volonté et l’intellect. Ceux qui regardent au sens et non aux mots, ne seront pas trompés par ce fait qu’il attribue la volonté à la vie animale ; car il n’entend par volonté, et c’est le sens qu’on attache généralement à ce mot, que la tendance consciente à vouloir, laquelle part sans doute du cerveau, mais n’y est pas encore, comme il est démontré ci-dessus,