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le monde comme volonté et comme représentation

contraire, ce qui connaît, ce qui a cette représentation, c’est le cerveau, qui toutefois ne se connaît pas lui-même, mais prend seulement conscience de soi comme intellect, c’est-à-dire comme chose connaissante, qui, en un mot, ne se connaît que subjectivement ; ce qui, vu du dedans, est le pouvoir de connaître, vu du dehors, est le cerveau. Ce cerveau est une partie de ce corps, précisément parce qu’il fait partie de l’objectivation de la volonté, parce que la volonté de connaître, la direction du vouloir au dehors y sont objectivées. Par conséquent, le cerveau, et avec lui l’intellect, est sans doute immédiatement déterminé par le corps, et celui-ci à son tour par le cerveau ; mais cette influence ne s’exerce immédiatement, de part et d’autre, que sur le cerveau et le corps comme choses étendues et corporelles, tels qu’ils existent dans le monde de l’intuition, non tels qu’ils sont en eux-mêmes, c’est-à-dire comme volonté. Le tout de nous-mêmes, c’est donc en dernier ressort la volonté, qui devient à lui-même représentation, et qui est cette unité que nous appelons le moi. Le cerveau lui-même, en tant que représenté (c’est-à-dire vu, comme élément secondaire, dans la conscience d’autre chose), n’est que représentation. En lui-même, en tant qu’il représente, le cerveau est la volonté, parce que celle-ci est le substratum réel de toute la phénoménalité : la volonté de connaître s’objective dans le cerveau et ses fonctions. — La pile de Volta peut être considérée comme le symbole qui figure, imparfaitement sans doute, mais d’une manière assez approchante, l’essence du phénomène humain, tel que nous l’envisageons ici : les métaux ainsi que le liquide sont le corps ; l’action chimique, base de l’activité tout entière de la pile, est la volonté, et la tension électrique qui en résulte et qui provoque le coup et les étincelles, est l’intellect. Mais, omne simile claudicat.

Tout récemment enfin, une nouvelle théorie s’est fait jour dans la pathologie, la théorie physiâtrique. Suivant elle, les maladies elles-mêmes sont un processus de guérison provoqué par la nature, pour faire disparaître quelque désordre qui s’est produit dans l’organisme en en détruisant les causes, lutte dans laquelle, au moment décisif, c’est-à-dire pendant la crise, la nature l’emporte et atteint ses fins ou bien succombe. Mais cette manière de voir ne devient vraiment rationnelle que de notre point de vue : pour nous, en effet, la force vitale, qui apparaît ici comme vis naturæ medicatrix, est la volonté ; celle-ci, dans l’état de santé, est la base de toutes les fonctions organiques, et, lorsque se produisent des désordres qui menacent son œuvre tout entière, elle revêt une puissance dictatoriale pour apaiser les forces rebelles par des mesures extraordinaires et des opérations complètement anormales (les maladies) et faire rentrer ainsi le tout dans l’ordre. Dire