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objectivation de la volonté dans l’organisme animal

chair. » Il va de soi que le sang, avant la séparation de ces parties solides, avait une constitution différente de celle qu’il présente, la séparation une fois opérée ; primitivement il est, comme dit Rösch, un liquide chaotique, animé, muqueux, une émulsion organique en quelque sorte dans laquelle sont implicitement contenues toutes les parties ultérieures : au commencement, la couleur n’en est pas non plus rouge. Cette observation écarte la possibilité de l’objection suivant laquelle le cerveau et la moelle commencent à se former avant que la circulation du sang soit visible et que naisse le cœur.

Schulz dit dans le même sens (Syst. de la circulation, p. 297) : « Nous ne croyons pas que l’opinion de Baumgartner, suivant laquelle la formation du système nerveux est antérieure à celle du sang, puisse être soutenue jusqu’au bout ; car Baumgartner ne fait dater l’existence du sang que de la formation des vésicules, alors que longtemps avant déjà, dans l’embryon et la série animale, le sang apparaît sous forme de pur plasma. » Le sang des invertébrés n’est jamais rouge ; nous nous gardons pourtant de leur refuser le sang même, comme fait Aristote. Notons aussi, la chose en vaut la peine, ces paroles d’une somnambule extra-lucide, rapportées par Justinus Kerner (Histoire de deux Somnambules, p. 78) : « Je descends aussi profondément en moi qu’il est possible à un homme de pénétrer en lui-même : la force de ma vie terrestre me paraît avoir son origine dans le sang ; de là, circulant à travers les veines, elle se communique par l’intermédiaire des nerfs à tout le corps, et la partie la plus généreuse en passe dans le cerveau. »

Il résulte de tout ceci que la volonté s’objective le plus immédiatement dans le sang ; c’est lui qui primitivement crée et forme l’organisme, l’achève par la croissance, puis le nourrit continuellement, tant par le renouvellement régulier de toutes les parties que par le rétablissement anormal de parties blessées. Le premier produit du sang, ce sont ses propres vases, puis les muscles, dans l’irritabilité desquels la volonté se révèle à la conscience, et en même temps que ces derniers le cœur, vase et muscle à la fois, et qui pour cette raison est le vrai centre et le primum mobile de toute la vie. Mais pour vivre individuellement et se maintenir dans le monde extérieur, la volonté a besoin de deux systèmes auxiliaires : l’un qui dirige et ordonne son activité interne et externe, l’autre qui renouvelle sans cesse la masse du sang ; en d’autres termes, la volonté a besoin d’un directeur et d’un conservateur. Aussi crée-t-elle à son service le système nerveux et le système intestinal ; aux fonctions vitales, qui sont les plus primitives et les plus essentielles, s’ajoutent subsidiairement les fonctions animales et les fonctions naturelles. Dans le système nerveux la volonté ne s’ob-