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objectivation de la volonté dans l’organisme animal

Mais il n’en est pas ainsi ; le corps tout entier est et demeure la représentation de la volonté dans l’intuition, c’est la volonté elle-même vue objectivement par le moyen des fonctions encéphaliques. Quant au processus particulier des actions libres, il tient à ce fait, que la volonté qui, selon ma théorie, se manifeste dans tous les phénomènes de la nature, même de la nature végétale et inorganique, dans le corps humain et animal, se présente comme volonté consciente. Or une conscience est essentiellement une et demande par conséquent un point central unifiant. J’ai souvent montré que ce qui amène la nécessité d’une conscience, c’est la complication croissante de l’organisme : comme les besoins de cet organisme se diversifient, les actes volontaires doivent être dirigés par des motifs, et ne peuvent plus se produire, comme aux degrés plus bas de l’échelle, à la suite de simples excitations. À cette fin la volonté a été munie dans l’être animé d’une conscience connaissante, d’un intellect, centre et lieu des motifs. Cet intellect, quand il est vu objectivement lui aussi, se présente sous la forme d’un cerveau et de ses dépendances, je veux dire la moelle et les nerfs. C’est dans ce cerveau qu’à l’occasion d’impressions extérieures naissent les représentations qui se transforment en motifs pour la volonté. Ces représentations subissent une nouvelle élaboration dans l’entendement raisonnable, où elles sont soumises aux combinaisons de la réflexion. Un intellect de cette nature doit avant tout concentrer en un même point toutes les impressions, ainsi que les intuitions ou les concepts qui en ont été obtenus par voie d’élaboration. Ce point sera en quelque sorte le foyer de tous ses rayons, et ainsi se produira cette unité de conscience qui est le moi théorique, support de la conscience tout entière, dans laquelle elle se représente comme identique au moi voulant, dont elle n’est pourtant que la simple fonction connaissante. Ce point unifiant de la conscience, ce moi théorique, c’est précisément l’unité synthétique de l’aperception de Kant, où s’alignent comme sur un collier de perles toutes les représentations, et en vertu de laquelle le « je pense », fil de ce collier, « doit pouvoir accompagner toutes nos représentations »[1].

Ce lieu des motifs, où ils se concentrent pour opérer leur entrée dans l’unité de conscience, est le cerveau. Ils y apparaissent sous forme de simples intuitions à la conscience sans raison ; la conscience raisonnable les précise au moyen de concepts, c’est-à-dire les pense in abstracto et les compare ; puis la volonté se décide conformément à son caractère individuel et immuable, et la résolution, qui naît ainsi, met en mouvement les membres extérieurs par l’intermédiaire du cervelet, de la moelle et des ramifications

  1. Cf. ch. xxii.