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le monde comme volonté et comme représentation

ment musculaire nous fait l’effet d’un miracle ; car le processus qui commence au motif extérieur pour aboutir à l’action musculaire est sans doute une série causale rigoureuse, mais la volonté elle-même n’entre pas dans cette série comme partie intégrante, elle n’est que le substratum métaphysique de la possibilité pour le muscle d’être influencé par le cerveau et les nerfs, substratum qui est la base également du mouvement musculaire actuel ; ce dernier n’en est pas à proprement parler l’effet, mais le phénomène. C’est comme phénomène qu’il fait son apparition dans le monde de la représentation, monde tout à fait différent de la volonté en soi et qui a pour forme la loi de causalité. Aussi, quand on part de la volonté, l’acte musculaire est-il pour la réflexion attentive un sujet d’étonnement ; mais un examen plus approfondi nous y fait voir une confirmation directe de cette grande vérité, suivant laquelle ce qui, dans le monde phénoménal, se présente comme corps et action physique en soi, est de la volonté. — Que si le nerf moteur qui conduit à ma main est coupé en deux, je ne puis plus mouvoir ma main. Mais ce n’est pas parce que la main a cessé d’être, comme toute autre partie de mon corps, l’objectivation visible de la volonté, ou en d’autres termes parce que l’irritabilité a disparu ; c’est parce que l’action du motif, à la suite de laquelle seule je puis mouvoir ma main, ne pouvant pas y parvenir et agir sur ses muscles à titre d’excitation, les communications du cerveau à la main se trouvent interrompues. Au fond ma volonté n’est donc soustraite, dans cette partie organique, qu’à l’action du motif. C’est dans l’irritabilité, non dans la sensibilité, que la volonté s’objective immédiatement.

Pour prévenir sur ce point important tous les malentendus, principalement ceux qui sont accrédités par une physiologie purement empirique, je vais exposer plus à fond le processus tout entier. Ma théorie affirme que le corps dans son ensemble c’est la volonté, telle qu’elle se représente dans l’intuition du cerveau, c’est la volonté ayant passé par les formes de connaissances propres à ce cerveau. D’où il suit que la volonté doit être également présente dans toutes les parties du corps : c’est d’ailleurs le cas, puisque les fonctions organiques aussi bien que les fonctions animales se trouvent être son œuvre. Mais comment concilier avec mon application ce fait que les actions libres, ces manifestations indéniables de la volonté, partent incontestablement du cerveau, et n’arrivent aux branches nerveuses que par la moelle ? Les branches nerveuses enfin mettent les membres en mouvement, de sorte que leur paralysie ou leur section supprime radicalement la possibilité du mouvement libre. Ne devrait-on pas croire d’après cela que la volonté, comme l’intellect, a uniquement son siège dans le cerveau, qu’elle n’est comme l’intellect qu’une pure fonction encéphalique ?