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objectivation de la volonté dans l’organisme animal

sens que le cerveau, avec la moelle allongée et les nerfs qui s’y rattachent, est en quelque sorte inoculé à l’organisme auquel il emprunte sa subsistance, sans que lui-même contribue directement à l’économie organique. Voilà pourquoi la vie peut subsister même en l’absence du cerveau, comme c’est le cas chez les enfants qui naissent sans crâne, chez les tortues auxquelles on a coupé la tête et qui vivent encore pendant trois semaines, à condition toutefois qu’on ait épargné la moelle allongée, organe de la respiration. Une poule même, à laquelle Flourens avait enlevé tout l’encéphale, vécut et se développa encore pendant dix mois. Chez l’homme enfin la destruction du cerveau n’amène pas directement la mort, celle-ci n’est provoquée que par l’intermédiaire des poumons et du cœur. (Bichat, Sur la vie et la mort, partie II, art. 11, § 1.) Par contre, le cerveau s’occupe de la direction des rapports avec le monde extérieur ; c’est là sa fonction unique et par là il s’acquitte de sa dette envers l’organisme qui le nourrit ; car l’existence de ce dernier est déterminée par les circonstances extérieures. Seule de toutes les autres parties organiques, le cerveau a besoin de sommeil, parce que, conformément à ce que nous venons de dire, son activité est tout à fait séparée de sa conservation ; celle-là ne fait qu’user les forces et la substance, tandis que celle-ci émane du reste de l’organisme, sorte de nourrice. Cette activité donc, qui ne contribue en rien à la subsistance, s’épuise, et c’est uniquement quand elle est suspendue, c’est-à-dire dans le sommeil, que l’alimentation du cerveau s’opère sans obstacle.

La deuxième partie de notre thèse aura besoin d’une explication détaillée, même après tout ce que j’en ai dit dans les écrits déjà mentionnés. Plus haut déjà, au ch. xviii, j’ai montré que la chose en soi, qui est la base nécessaire de tout phénomène, conséquemment aussi du nôtre, dépouille dans la conscience de soi une de ses formes phénoménales, l’espace, pour ne retenir que l’autre, le temps ; de la sorte cette chose en soi se révèle plus immédiatement que partout ailleurs, et quand elle s’est ainsi débarrassée d’un grand nombre de ses voiles, nous l’appelons volonté. Or aucune substance durable ne peut se représenter dans le seul temps, et la matière est une substance de cette sorte ; car une substance durable n’est possible, comme il est démontré au § 4 du 1er  vol. que par l’union intime du temps et de l’espace. C’est pourquoi, dans la conscience de soi, la volonté n’est pas connue comme le substratum permanent de ses impulsions, elle ne se présente pas dans l’intuition sous forme de substance durable ; ce sont les actes isolés de la volonté, ses mouvements et ses états, comme résolutions, souhaits, affections, que nous connaissons successivement et pendant le temps de leur durée, immédiatement mais non intuitivement. La connais-