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le monde comme volonté et comme représentation

être vivant que nous sommes obligés d’admirer d’une certaine manière celui qui a osé le commettre. Nous trouvons même dans son exemple une consolation qui nous rassure, car nous savons désormais que cette issue nous est toujours ouverte, vérité dont nous aurions pu douter si elle ne se trouvait pas confirmée par l’expérience. Car le suicide émane d’une résolution de l’intellect, et notre volonté de vivre, elle, est un prius de l’intellect. Ce fait, dont nous traitons expressément au ch. xxviii, est donc lui aussi une confirmation du primat de la volonté dans la conscience de nous-mêmes.

XII. — Au contraire, l’intermittence périodique même de l’intellect en démontre on ne peut plus clairement la nature secondaire, dépendante, déterminée. Dans le sommeil profond, la connaissance et la représentation sont complètement suspendues. Mais le noyau même de notre être, l’élément métaphysique du moi, le primum mobile que supposent nécessairement les fonctions organiques, ne peut jamais suspendre son activité, à moins d’enrayer la vie elle-même ; cet élément d’ailleurs, en tant que métaphysique et conséquemment incorporel, n’a pas besoin de repos. Aussi les philosophes qui ont considéré l’âme, c’est-à-dire un pouvoir primitivement et essentiellement connaissant, comme ce noyau, se sont-ils vus contraints d’affirmer que l’âme est infatigable dans son pouvoir de connaître et de représenter et que ces facultés s’exercent même dans le sommeil le plus profond ; seulement, au réveil, il ne nous en reste aucun souvenir. Mais, quand la doctrine de Kant nous eut débarrassés de l’âme, on put facilement se convaincre de la fausseté de cette assertion. Car l’alternance du sommeil et du réveil montre clairement à l’observateur non prévenu que la connaissance est une fonction secondaire déterminée par l’organisme, au même titre que toute autre. Le cœur seul est infatigable ; car ses pulsations et la circulation du sang ne sont pas immédiatement déterminées par les nerfs, mais se trouvent être précisément la manifestation primitive de la volonté. De même toutes les autres fonctions physiologiques qui dépendent des nerfs ganglionnaires, lesquels n’ont avec le cerveau qu’une relation très médiate et éloignée, se continuent pendant le sommeil, bien que les sécrétions s’opèrent plus lentement les pulsations du cœur même, comme elles dépendent de la respiration qui est conditionnée par le système cérébral (moelle allongée), subissent comme celle-ci un certain ralentissement. C’est l’estomac peut-être qui est le plus actif pendant le sommeil, cela tient à la nature particulière de ses rapports avec le cerveau qui chôme à ce moment, rapports qui occasionnent des troubles réciproques. Le cerveau seul, et avec lui la connaissance, s’arrête tout à fait pendant le sommeil. Car cet organe n’est en nous que le minis-