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du primat de la volonté dans notre conscience

chose ; cela vient du cœur ; cela l’a blessé au cœur ; cela lui a brisé te cœur ; son cœur saigne ; son cœur tressaille de joie ; qui peut voir dans le cœur de l’homme ? cela déchire, cela brise, cela anéantit, cela élève, cela émeut le cœur ; il est cordialement bon ; il a le cœur dur ; il a du cœur, il n’a pas de cœur (dans le sens de courage), etc. Les choses d’amour tout particulièrement s’appellent affaires de cœur ; parce que l’instinct sexuel est le foyer de la volonté et que le choix de ce qui le concerne est l’occupation essentielle dû vouloir humain : j’en donnerai explicitement les raisons dans un chapitre supplémentaire au 4e livre. Byron, dans son Don Juan, fait cette remarque satirique que pour les dames l’amour est une affaire de tête plutôt que de cœur. La tête au contraire désigne tout ce qui a trait à la connaissance. De là un homme de tête ; une tête remarquable, fine, bornée ; perdre la tête ; porter haut la tête, etc. Tête et cœur, ces deux mots désignent tout l’homme. Mais la tête n’est jamais que l’élément secondaire et dérivé car elle n’est pas le centre, mais seulement l’efflorescence suprême du corps. Quand un héros meurt, on embaume son cœur et non pas son cerveau : au contraire on aime à conserver le crâne des poètes, des artistes et des philosophes. C’est ainsi qu’on a conservé dans l’Académie de Saint-Luc la prétendue tête de Raphaël, dont on a dernièrement démontré l’inauthenticité ; en 1820 le crâne de Descartes fut vendu aux enchères à Stockholm[1].

Un certain sentiment du vrai rapport entre la volonté, l’intellect et la vie, se fait également jour dans la langue latine. L’intellect c’est le mens, νοῦς ; la volonté au contraire, c’est l’animus, qui dérive d’anima, qui à son tour vient d’ἄνεμος. L’anima c’est la vie même, le souffle, ψύχη ; l’animus, lui, est le principe vivifiant et en même temps la volonté, sujet des inclinations, des intentions, des passions et des émotions de là ces expressions : est mihi animus, fert animus, qui veulent dire : j’ai envie de. Animus c’est le grec θῦμος, c’est-à-dire la sensibilité et non pas la tête. Animi perturbatio c’est la passion, mentis perturbatio veut dire folie. L’attribut immortalis est accordé à l’animus et non au mens. Cette différence d’acception est la règle, elle est consacrée par la plupart des textes ; pourtant ces termes ne pouvaient manquer d’être parfois confondus, du moment qu’ils expriment des concepts très voisins l’un de l’autre. Par ψύχη les Grecs paraissent avoir entendu tout d’abord la force vitale, le principe vivifiant, et ils soupçonnaient vaguement à ce propos que cette ψύχη devait être quelque chose de métaphysique que la mort n’atteignait pas avec le reste de nos facultés. C’est ce que prouvent entre autres les recherches

  1. Times, du 18 oct. 1843, d’après l’Atheneum.