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et vraie vertu qu’on trouve parmi les hommes. Je ne veux pas même parler des hautes vertus, générosité, grandeur d’âme, dévouement de la personne ; on aura eu de la peine à les rencontrer ailleurs que dans les drames et les romans. Il ne s’agit que de ces vertus qui sont un devoir pour chacun de nous. Quiconque est vieux n’a qu’à reporter sa pensée sur tous ceux auxquels il a eu affaire : combien en a-t-il vus de réellement et véritablement honnêtes ? À parler franchement, la plupart n’étaient-ils pas à beaucoup près le contraire, malgré leurs emportements effrontés au moindre soupçon de malhonnêteté ou seulement de mensonge ? Bas égoïsme, avidité sans bornes, friponnerie bien déguisée, et avec cela envie venimeuse et joie diabolique au malheur d’autrui, tous ces traits ne dominaient-ils pas si généralement, que la moindre exception à la règle était accueillie par des transports d’admiration ? Et la charité va-t-elle jamais jusqu’à donner plus que ce qui est assez superflu pour qu’on n’en ait jamais besoin ? Et c’est dans ces traces si faibles et si rares de moralité qu’on voudrait placer tout le but de l’existence ! Le place-t-on au contraire dans la conversion totale de notre être (qui produit les mauvais fruits indiqués ci-dessus) amenée par la souffrance, tout prend un autre aspect et se trouve en harmonie avec l’état réel des choses. La vie se présente alors comme une opération purificative, où le bain purifiant est la douleur. L’opération accomplie, elle laisse pour résidu impur l’immoralité et la méchanceté antérieures, et ainsi se réalise ce que dit le Véda : « Fiditur nodus cordis, dissolvuntur omnes dubitationes, ejusque opera evanescunt. » — Le quinzième sermon de maître Eckhard mérite d’être lu ; on le trouvera en parfaite harmonie avec ces vues.