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moins de scrupule à les signaler, que Shakespeare lui-même nous dit :

___________Out of these convertites
There is much matter to be heard and learn’d[1].
______________(Comme il vous plaira, scène dernière.)

Le christianisme attribue aussi à la souffrance en tant que telle cette vertu purifiante et sanctifiante ici exposée, et l’effet contraire à la grande prospérité ; Strauss l’a démontré dans sa Vie de Jésus (vol. I, section 2, chap. VI, §§ 72 et 74). Il dit en effet que les Béatitudes du Sermon sur la montagne ont un tout autre sens chez Luc (VI, 21) que chez Matthieu (V, 3) ; car ce dernier seul à μακαριοι οι πτωχοι ajoute τω πνευματι et à πεινωντες le complément την δικαιοσυνην : chez lui seul ainsi il est fait allusion aux simples et aux humbles, etc. ; chez Luc au contraire, aux pauvres proprement dits ; de sorte qu’il y a ici opposition entre la souffrance actuelle et le bien-être futur. Chez les Ébionites c’est un principe capital que celui qui prend sa part en ce monde, reste les mains vides dans l’autre monde, et inversement. Aussi chez Luc les béatitudes sont-elles suivies d’autant de « ουαι » qu’il adresse aux πλουσιοις, εμπεπλησμενοις et γελωσι, au sens des Ébionites. C’est dans le même esprit, dit-il à la page 504, qu’est conçue la parabole (Luc. xvi, 19) du riche et de Lazare : elle ne parle nullement d’une faute de l’un, ni d’un mérite de l’autre, et prend pour mesure de la rémunération à venir non pas le bien ou le mal fait en cette vie, mais la souffrance qu’on a éprouvée ou le bonheur dont on a joui en ce monde, au sens des Ébionites. « Les autres synoptiques (Matth., xix, 16 ; Marc, x, 17 ; Luc, xviii, 18) attribuent encore à Jésus une semblable estime de la pauvreté extérieure dans le récit du jeune homme riche et dans la parabole du chameau et du trou d’aiguille. »

En allant au fond des choses, on reconnaîtra que les passages même les plus célèbres du Sermon sur la montagne contiennent une invitation indirecte à la pauvreté volontaire, et par là à la négation du vouloir-vivre. Car le précepte (Matth., v, 40 et s.) de nous rendre sans réserve à toutes les demandes qu’on nous fait, de donner aussi notre manteau à qui veut nous disputer notre tunique, etc., de même (ibid., vi, 25-34) le précepte de renoncer à tout souci de l’avenir et même du lendemain et de vivre ainsi au jour le jour, sont des règles de vie dont la pratique mène infailliblement à l’absolue pauvreté, et qui par suite disent d’une manière indirecte ce que Bouddha prescrit directement aux siens, et appuie de son

  1. « Il y a beaucoup à entendre et à apprendre de la bouche de ces convertis. »