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qui porte à supposer que la fondatrice de cette dernière secte avait pris l’autre pour modèle. — Que devient, en présence de ces faits, l’assertion de Luther : « Ubi natura, quemadmodum a Deo nobis insita est, fertur ac rapitur, fieri nullo modo potest, ut extra matrimonium caste vivatur » (Catech. Maj.) ?

Quand même le christianisme n’a fait en substance qu’enseigner ce que toute l’Asie savait depuis longtemps déjà et mieux même, il a été cependant pour l’Europe une nouvelle et grande révélation, qui a produit une transformation complète de la direction d’esprit des peuples européens. Car il leur a dévoilé la portée métaphysique de l’existence et leur a appris en conséquence à étendre leurs regards au-delà de la vie terrestre étroite, misérable et éphémère, et à la considérer non plus comme une fin absolue, mais comme un état de souffrance, de culpabilité, d’épreuve, de lutte et de purification, d’où les mérites moraux, le rigoureux renoncement à nous-mêmes et l’abnégation nous permettent de nous élever à une existence meilleure, inconcevable à notre entendement. Il a en effet enseigné la grande vérité de l’affirmation et de la négation du vouloir-vivre, sous le voile de l’allégorie, en disant que par la chute d’Adam nous avons tous été frappés de malédiction, que le péché est entré dans le monde, que la faute s’est transmise à tous par héritage, et qu’au contraire le sacrifice fait de sa vie par Jésus nous a tous rachetés, a sauvé le monde, effacé la faute et apaisé la justice. Mais, pour comprendre la vérité même contenue dans ce mythe, il ne faut pas seulement regarder les hommes dans le temps comme des êtres indépendants les uns des autres, il faut concevoir l’idée platonicienne de l’homme, qui se rapporte à la suite des hommes, de même que l’éternité en soi à l’éternité délayée dans le temps : il s’ensuit que l’idée éternelle de l’homme étendue, dans le temps, à la série successive des hommes, apparaît encore dans le temps comme un tout uni par le lien de la génération. Si l’on ne perd pas de vue l’idée de l’homme, on s’aperçoit que la chute d’Adam représente la nature bornée, animale, pécheresse de l’homme, celle qui fait de lui un être fini, voué au péché, à la douleur et à la mort. Au contraire la vie, les enseignements et la mort de Jésus-Christ sont l’image du côté éternel, surnaturel, de la liberté et de l’affranchissement de l’homme. Tout homme est donc, à ce titre et en puissance, aussi bien Adam que Jésus, selon la manière dont il se conçoit lui-même et dont ensuite sa volonté le détermine ; de là résulte pour lui ou la damnation et la mort inévitable, ou le salut et la conquête de la vie éternelle. — Ces vérités, tant au sens allégorique qu’au sens propre, étaient de parfaites nouveautés pour les Grecs et les Romains, qui se dépensaient tout entiers dans la vie et ne jetaient pas un regard sérieux au-delà. Qui en doute n’a qu’à