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dans la suite qu’au début, alors que le christianisme, encore en quête d’adeptes, ne pouvait élever trop haut encore ses prétentions : et dès le commencement du IIIe siècle elle se prononce et se marque avec énergie. Aux yeux du christianisme proprement dit, le mariage ne vaut que comme un compromis avec la nature criminelle de l’homme, comme une concession, une faiblesse permise à ceux qui n’ont pas la force d’aspirer à la perfection dernière, un moyen enfin de prévenir une corruption plus grande : en ce sens il reçoit la sanction de l’Église, pour qu’au moins le lien soit indissoluble. Mais la consécration plus haute du christianisme, celle qui nous ouvre le rang des élus, c’est celle du célibat et de la virginité ; elle seule permet de conquérir la couronne de vainqueur, que rappelle aujourd’hui encore la guirlande de fleurs placée sur le cercueil du célibataire, comme aussi celle que dépose la fiancée le jour du mariage.

Nous possédons sur ce point un témoignage datant en tout cas des premiers temps du christianisme : c’est cette réponse significative du Seigneur rapportée par Clément d’Alexandrie (Strom., III, 6 et 9) et tirée par lui de l’Évangile des Égyptiens : Τη Σαλωμη ο κυριος πυνθανομενη, μεχρι ποτε θανατος ισχυσει ; μεχρις αν, ειπεν, υμεις, αι γυναικες, τικτητε. [Salomœ interroganti, « quousqque vigebit mors » ? Dominus « quoadusque, inquit, vos, mulieres paritis ».] Clément ajoute au chapitre ix : τουτ εστι, μεχρις αν αι επιθυμιαι ενεργωσι [hoc est, quamdiu operabuntur cupiditates], et il continue en rattachant aussitôt à ce qui précède le passage célèbre de l’Epître aux Romains, V, 12. Plus loin, au chapitre xiii, il cite les paroles de Cassien : Πυνθανομενης της Σαλωμης, ποτε γνωσθησεται τα περι ων ηρετο, εφη ο Κυριος Οταν της αισχυνης ενδυμα πατησητε, και οταν γενηται τα δυο εν, και το αρρεν μετα της θηλειας ουτε αρρεν, ουτε θηλυ. [Cum interrogaret Salome, quando cognoscentur ea, de quibus interrogabat, ait Dominus : « Quando pudoris indumentum conculcaveritis, et quando duo facta fuerint unum, et masculum cum fœmina nec masculum nec fœmineum. »], c’est-à-dire quand vous n’aurez plus besoin du voile de la pudeur, une fois que toute différence de sexe aura disparu.

Sans doute sur ce point ce sont les hérétiques qui sont allés le plus loin : tels étaient, dès le IIe siècle, les tatianistes ou encratistes, les gnostiques, les marcionites, les montanistes, les valentiniens et les cassiens. Cependant ils ne faisaient, par leur logique sans réserves, que rendre hommage à la vérité, et qu’enseigner ainsi, fidèles à l’esprit du christianisme, la continence absolue, εγκρατεια, tandis que l’Église avait la prudence de déclarer hérésie toute vue capable de contrarier sa politique à longue portée. Saint Augustin dit des tatianistes : « Nuptias damnant, atque omnino pares eas fornicationibus aliisque corruptionibus faciunt :