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teté et en général la mortification de la volonté, doctrines qu’ils désignent très justement sous le nom de « tendances anticosmiques », et ils ont prouvé par des arguments solides que tel est le caractère essentiel du christianisme véritable et primitif. En cela ils ont incontestablement raison. Mais faire valoir comme un reproche évident et manifeste à l’adresse du christianisme cet esprit qui en fait toute la profonde vérité, la haute valeur et le caractère élevé, c’est témoigner d’un obscurantisme explicable seulement par la direction entièrement mauvaise et à jamais fausse qu’a imprimée à ces cerveaux, et à des milliers d’autres, hélas ! aujourd’hui en Allemagne, ce misérable hégélianisme, cette école de platitude, ce foyer d’inintelligence et d’ignorance, cette sagesse prétendue, bonne à déranger les têtes, dont on commence enfin aujourd’hui à reconnaître les vrais mérites ; il n’y aura bientôt plus à la vénérer que l’académie danoise, qui voit dans ce lourd charlatan un summus philosophus et se met en campagne pour lui :

Car ils suivront la créance et estude
De l’ignorante et sotte multitude,
Dont le plus lourd sera reçu pour juge.
_____________________Rabelais.

Il est certain que le christianisme véritable et primitif, tel que, sorti de la substance du Nouveau Testament, il s’est développé dans les écrits des Pères de l’Église, présente une tendance ascétique évidente : c’est le sommet où tout aspire à atteindre. Nous trouvons le précepte capital de l’ascétisme dans la recommandation du célibat pur et vrai (ce premier pas, le plus important de tous, fait dans la voie de la négation de la volonté) qu’énonce déjà le Nouveau Testament[1]. De même Strauss, dans sa Vie de Jésus (vol. I, page 618 de la première édition), dit sur cette prescription du célibat formulée dans Matth., xix, 11 et suiv : « Pour ne rien faire dire à Jésus de contraire aux conceptions actuelles, on s’est empressé d’insinuer l’idée que Jésus vante le célibat par pur égard pour les circonstances de son temps et par désir de ne pas entraver l’activité apostolique ; cependant la suite du texte implique aussi peu cette explication que le passage analogue de la 1re épitre aux Cor., VII, 25 et suiv. ; mais c’est ici encore un des passages où percent aussi chez Jésus des principes ascétiques, tels qu’il s’en était répandu chez les Esséniens et vraisemblablement chez les Juifs eux-mêmes. » — Cette tendance ascétique s’accuse plus fortement

  1. Matth., XIX. 11 et s. — Luc, XX, 35-37. — 1re épitre aux Cor., VII, 1-11 et 25-40. — I Thess., IV, 3. — S. Joh., iii. 3. — Apocal., XIV, 4