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recommandation de renoncer à toute volonté, seul moyen d’assurer l’affranchissement de la vie individuelle et de ses souffrances, mais toujours mise à un rang subalterne et donnée pour une chose facile. Au contraire, dans le mysticisme hindou, ce dernier côté ressort avec beaucoup plus de force, et dans le mysticisme chrétien il passe au premier plan, de sorte que cette conscience panthéistique, essentielle à tout mysticisme, ne paraît plus ici qu’un élément secondaire, conséquence du renoncement à toute volonté et réalisé dans l’union avec Dieu. Cette différence de conception prête au mysticisme mahométan un caractère très riant, au mysticisme chrétien un caractère sombre et douloureux ; quant à celui des Hindous, il se tient au-dessus des deux autres, et à ce point de vue encore il tient le milieu entre eux.

Le quiétisme, c’est-à-dire le renoncement à tout vouloir, l’ascétisme, c’est-à-dire la mortification préméditée de la volonté propre, et le mysticisme, c’est-à-dire la conscience de l’identité de son être propre avec celui de toutes choses, ou avec l’essence du monde, se trouvent dans la relation la plus étroite : aussi celui qui professe l’une de ces doctrines est-il amené peu à peu à admettre les autres, et cela même contre son propre dessein. Il ne peut rien y avoir de plus surprenant que l’accord réciproque des auteurs qui soutiennent ces doctrines, malgré l’énorme différence des âges, des pays et des religions, ainsi que l’assurance inébranlable et la confiance intime avec laquelle ils exposent le contenu de leur expérience interne. Ils ne forment pas comme une secte, qui a une fois embrassé un dogme théorique favori, qui le maintient, le défend et le propage ; bien plus, presque toujours ils s’ignorent les uns les autres : les mystiques hindous, chrétiens, mahométans, les quiétistes et les ascètes sont de tout point hétérogènes entre eux, sauf pour le sens intime et l’esprit de leurs préceptes. Un exemple des plus frappants nous en est fourni par la comparaison des Torrents de Mme Guyon avec la conception des Védas, et notamment avec un passage de l’Oupnekhat (vol. I, page 63), qui contient très résumé, mais exactement et même avec des images identiques, le contenu de l’ouvrage français, et cependant, en 1680, Mme Guyon ne pouvait en avoir connaissance. Dans la Théologie allemande (seule édition complète, Stuttgard, 1851), il est dit aux chapitres ii et iii que la chute tant du diable que d’Adam avait eu pour cause l’attribution que l’un et l’autre s’étaient faite à eux-mêmes des expressions « Je et Moi, Mien et à Moi, » ; et à la page 89, on trouve : « Dans le véritable amour il n’y a plus ni Je, ni Moi, ni Mien, ni à Moi, ni à Toi, ni Tien, ni rien de semblable. » Or le Kural, traduit du tamoul par Graul, nous offre, page 8, la phrase correspondante : « La passion du mien qui marche vers l’extérieur et celle du moi qui