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et non des déterminations de la chose en soi, revient à affirmer l’identité de la doctrine de la métempsycose, « Tu renaîtras un jour sous la forme de celui que tu offenses aujourd’hui et tu endureras les mêmes offenses. » avec la formule souvent citée du brahmanisme : Tal twam asi : « Tu es cela. » — La connaissance immédiate et intuitive de l’identité métaphysique de tous les êtres est, je l’ai montré plus d’une fois, et surtout au § 22 de mon mémoire sur le Fondement de la morale, est, dis-je, le principe de la véritable vertu. Mais il ne s’ensuit pas que cette dernière résulte d’une supériorité toute particulière de l’intellect ; loin de là, l’intelligence même la plus faible suffit à lire au travers du principe d’individuation, et c’est ici le principal. Aussi peut-on trouver le caractère le plus excellent joint à une intelligence médiocre, et notre pitié s’émeut sans qu’il soit besoin d’aucun effort de notre intellect. Il semble au contraire que cette pénétration indispensable du principe d’individuation se réaliserait dans chacun, sans la résistance de la volonté qui s’y oppose presque toujours, grâce à l’influence immédiate, secrète et despotique qu’elle exerce sur l’intellect ; si bien que toute faute finit par retomber sur la volonté, ce qui est d’ailleurs aussi dans l’ordre naturel des choses.

Le dogme de la métempsycose dont il vient d’être question ne s’éloigne de la vérité que du fait de transporter dans l’avenir ce qui est dès maintenant accompli. Suivant cette doctrine, en effet, mon être intime ne commence à exister dans d’autres êtres qu’après ma mort, tandis qu’en réalité il y vit déjà maintenant ; la mort ne sert qu’à dissiper l’illusion qui m’empêchait de m’en rendre compte : de même la troupe innombrable des astres ne cesse jamais de briller au-dessus de notre tête, mais elle n’est apparente pour notre œil qu’après le coucher d’une étoile plus proche de nous, du soleil de notre terre. Semblable au soleil, mon existence individuelle éclipse tout de son éclat supérieur ; à ce point de vue pourtant elle ne paraît être au fond qu’un obstacle, placé entre nous et la connaissance de la véritable étendue de notre être. Et puisque tout individu, dans sa connaissance, ne peut franchir cet obstacle, c’est donc précisément l’individuation qui maintient le vouloir-vivre dans l’erreur au sujet de son essence propre : elle est la Maïa du brahmanisme. La mort est une réfutation de cette erreur et la supprime. Au moment de mourir nous devons, je crois, nous apercevoir qu’une pure illusion avait borné notre existence à notre personne. On en peut trouver même des indices empiriques dans plus d’un état voisin de la mort, où la conscience cesse d’être concentrée dans le cerveau. Le plus frappant de ces états est le sommeil magnétique ; si on le porte à un certain degré, notre existence semble s’étendre au-delà de notre personne dans d’autres êtres, et le fait se manifeste par des