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quent les populations étrangères ; ce cas cependant est le plus fréquent et le plus important, car le pire ennemi de l’homme c’est l’homme, homo homini lupus. En raison de cette fin, les peuples établissent, en paroles sinon en fait, le principe de rester toujours les uns vis-à-vis des autres dans une attitude purement défensive, mais non agressive, et par là ils reconnaissent le droit des gens. Ce droit n’est pas au fond autre chose que le droit naturel appliqué sur le seul terrain d’action pratique qui lui soit resté, c’est-à-dire de peuple à peuple, là où seul il doit régner, parce que son autre fils plus fort, le droit positif, ne peut se faire valoir qu’à l’aide d’un juge et d’un exécuteur. Il s’ensuit que le droit des gens est constitué par un certain degré de moralité dans les relations réciproques des peuples, dont le maintien est une affaire d’honneur pour l’humanité. Le tribunal où se jugent les procès dont il est le fond, c’est l’opinion publique.

2° Protection à l’intérieur, c’est-à-dire protection des membres d’un État les uns contre les autres, par suite garantie du droit privé grâce au maintien d’une situation légale qui assure la protection de chaque individu par les forces concentrées de tous, d’où résulte le phénomène qu’ils paraissent tous honnêtes, c’est-à-dire justes, et qu’ainsi aucun individu ne voudrait en léser un autre.

Mais comme partout, dans les choses humaines, l’éloignement d’un mal a coutume d’ouvrir la voie à un mal nouveau, de même la concession de cette double protection provoque le besoin d’une troisième protection, savoir :

3° Protection contre le protecteur, c’est-à-dire contre celui ou ceux à qui la société a conféré la mission de la protéger, et ainsi garantie du droit public. Le moyen le plus parfait de l’obtenir semble être la distinction et la séparation de la trinité du pouvoir protecteur, pouvoir législatif, judiciaire et exécutif, exercés chacun par des individus différents et indépendamment des autres. — La grande valeur, l’idée maîtresse même de la royauté me paraît consister en ceci que, l’homme demeurant toujours l’homme, il faut en placer un assez haut, lui donner assez de pouvoir, de richesse, de sécurité et d’inviolabilité absolue, pour qu’il ne lui reste plus rien à souhaiter, à espérer et à craindre pour lui-même ; par ce moyen l’égoïsme inhérent en lui comme en chacun de nous est en quelque sorte annulé par neutralisation, et il devient alors capable, comme s’il n’était pas homme, de pratiquer la justice et d’avoir en vue non plus son propre bien, mais uniquement le bien public. C’est là l’origine de cette considération pour ainsi dire surhumaine qui entoure partout la dignité royale et creuse un si profond abîme entre elle et la simple présidence. Aussi doit-elle être héréditaire, et non élective : en partie pour qu’aucun individu ne voie dans le roi un égal ; en