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CHAPITRE XLVII[1]
DE LA MORALE


Ici se trouve la grande lacune de ces Compléments : elle tient à ce que j’ai déjà traité dans son sens plus étroit la morale dans mes deux mémoires publiés sous le titre Les problèmes fondamentaux de l’éthique, et dont je suppose, je l’ai déjà dit, la connaissance chez le lecteur, pour éviter des répétitions inutiles. Il ne me reste donc ici qu’à glaner quelques considérations isolées, qui ne pouvaient être développées dans ces écrits dont le contenu était en substance prescrit par les Académies, et, entre autres celles qui demandent un point de vue plus élevé que le point de vue, commun à toutes, où j’étais alors obligé de me tenir. Aussi le lecteur ne trouvera-t-il pas étrange de rencontrer ici toutes ces questions réunies dans un rapprochement très fragmentaire. Ce travail a de plus reçu une suite dans les huitième et neuvième chapitres du second volume des Parerga.

Les recherches de morale présentent une importance incomparablement supérieure à celle des recherches de physique ou de toute autre recherche en général : c’est qu’elles concernent presque directement la chose en soi, c’est-à-dire ce phénomène où, à la lumière immédiate de la connaissance, la chose en soi révèle son essence comme volonté. Les vérités physiques au contraire restent entièrement dans le domaine de la représentation, c’est-à-dire du phénomène, et ne servent qu’à montrer les lois suivant lesquelles les phénomènes les plus inférieurs du vouloir se manifestent dans la représentation. De plus, la considération du monde par le côté physique, si heureusement et si loin qu’on puisse la pousser, ne conduit jamais à des résultats consolants : c’est seulement du côté moral qu’on peut trouver des consolations, parce que là ce sont les profondeurs mêmes de notre être intime qui s’ouvrent à la contemplation.

Mais ma philosophie est la seule qui concède à la morale ses droits pleins et entiers : car c’est dans le seul cas où l’essence de l’homme est sa propre volonté, où, par suite, dans le sens le plus rigoureux, il est son œuvre propre, que ses actions sont bien réelle-

  1. Ce chapitre se rapporte aux §§ 55, 62, 67 du premier volume.