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du primat de la volonté dans notre conscience

pagne d’éloges et de blâmes tout à fait impuissants, et d’autre part il subit une détermination du dehors, puisqu’il n’établit et ne modifie ses prescriptions que sous l’action des leçons de l’expérience. On trouvera dans les Parerga (t. II, § 118 ; 2° éd., § 115), des éclaircissements spéciaux sur cette question. Cette observation explique également pourquoi la comparaison de notre façon de penser aux différents âges de la vie offre un si curieux mélange de persistance et de mobilité. D’une part la tendance morale est la même pendant la maturité et la vieillesse que dans l’enfance ; d’autre part bien des choses nous deviennent étrangères, à mesure que nous avançons en âge : nous ne nous reconnaissons plus nous-mêmes et sommes tout étonnés d’avoir pu faire autrefois ceci ou cela. Dans la première moitié de la vie, le présent se rit généralement du passé, quand il ne jette pas sur lui un regard dédaigneux ; dans la seconde moitié, il le contemple avec envie. Un examen approfondi nous montrera que l’élément mobile, c’est l’intellect avec ses fonctions de connaissance et d’examen ; comme ces fonctions reçoivent chaque jour du dehors des aliments nouveaux, elles représentent des systèmes de pensée qui vont différant sans cesse, sans compter que l’intellect lui-même monte ou descend, suivant que l’organisme est dans sa fleur ou à son déclin.

L’élément immuable de la conscience, nous le reconnaissons dans la volonté, base de cette conscience, c’est-à-dire dans les inclinations, les passions, les émotions, le caractère, en tenant compte toutefois des modifications qui dépendent des facultés de jouissance physique et par là de l’influence de l’âge. Ainsi, le désir des jouissances sensuelles prendra chez l’enfant la forme de la gourmandise ; il se traduira chez le jeune homme et l’homme mûr par un penchant à la volupté, et redeviendra gourmandise chez le vieillard.

VII. — Si, comme on l’admet généralement, la volonté émanait de l’intellect, si elle en était le résultat ou le produit, en ce cas, là où il y a beaucoup de volonté, il devrait se trouver aussi beaucoup de connaissance, de pénétration, de raison. Mais il n’en est nullement ainsi : nous trouvons plutôt chez beaucoup d’hommes une volonté forte, c’est-à-dire décidée, résolue, ferme, inflexible, obstinée et violente, unie à un entendement faible et impuissant. Et cette débilité de l’entendement fait le désespoir de tous ceux qui ont affaire à de telles gens ; car leur volonté reste inaccessible à toutes les raisons et représentations et n’offre aucune prise sur elle : elle est en quelque sorte dans un sac, d’où son activité rayonne aveuglément. Les animaux ont souvent un entendement extrêmement faible uni à une volonté violente et entêtée ; les plantes enfin n’ont que de la volonté sans aucune connaissance.